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Préparer le terrain à la participation des habitants Henri Franchet

Article, publié en partie, dans les cahiers du CRDSU N°43 Santé et précarité sociale : vers une politique publique locale, Autonme Hiver 2005

La participation de la population dans le secteur sanitaire, le social et le développement local est considérée comme une véritable opportunité à saisir qui suscite beaucoup d’espoir. «Participer, mobiliser, faire participer», entend-t-on ici et là. Mais la participation est souvent considérée comme un principe acquis et non comme un processus à initier, à renforcer. Et rares sont ceux qui posent et répondent aux questions préalables nécessaires à une planification stratégique et opérationnelle. Il s’agit, en effet, de mettre en oeuvre et d’évaluer sérieusement cette participation et de l’inscrire dans la durée.

Ces questions sont les suivantes. Que veut-on faire? Pourquoi est-il préférable de le faire avec les autres? Qui sont ces autres, jusqu’où va-t-on avec eux et pourquoi? Pourquoi et comment préparer le terrain à accompagner (collectivités, réseaux opérationnels, institutions élus, cadres, professionnels) ? Pourquoi et comment intégrer ces dynamiques participatives, ces nouveaux acteurs? Pourquoi et comment répondre à ces nouvelles priorités qu’ils font émerger?

Initiées dans l’enthousiasme, les dynamiques participatives prennent du temps, nécessitent des ressources humaines et financières. Négliger ces questions conduit souvent à des impasses, de la désillusion, voir de la démobilisation. Ne mettons pas à mal notre citoyenneté alors que ces démarches participatives devraient au contraire enrichir notre démocratie.

Nous verrons ce que veut dire préparer le terrain à la participation des habitants (Problématique « santé mentale » et accès aux soins dans le cadre d’un projet contrat ville). La démarche peut même aller jusqu’à la participation d’enfants (Problèmes de violence et d’incivilités dans le cadre d’un réseau d’éducation prioritaire). Mais, d’abord, tentons  de faire le point sur ce qu’est la participation, à qui s’adresse-t-elle, qu’implique-t-elle en général et plus particulièrement dans le domaine de la santé.

Qu’est-ce que la participation ?

La Participation est un processus[1] dans lequel un groupe (communauté, groupe cible, utilisateurs de services) travaille en partenariat avec des professionnels, institutions, élus, capables de faciliter, guider, encadrer une démarche de programmation participative. Le groupe identifie ses atouts[2], et pas seulement ses problèmes, ses besoins et de façon croissante assure lui-même la responsabilité de planifier, gérer et évaluer l’action collective nécessaire pour résoudre, amoindrir ses problèmes, répondre à ses besoins en s’appuyant sur ses points forts. [[3]]

Le groupe ne se forme que lorsque certaines circonstances lui permettent de prendre conscience de relations privilégiées entre des ou ses membres et du fait que ces relations autorisent des changements sociaux impossibles à réaliser autrement. Il ne s’agit donc plus tant d’un ensemble d’individus liés par des systèmes de valeurs communs que de la nature des relations que ceux-ci établissent et de la dynamique de progrès et de développement que ces relations autorisent. Il peut être localisé géographiquement (village, quartier), permanent ou temporaire (les usagers d’un service) [[4]]. Il peut être généré par un événement déclencheur, un problème qui concerne chacun de ses membres.

Dans ces processus, l’expert, le professionnel n’est plus une référence indiscutable mais celui qui accompagne l’émergence de la dynamique locale. Son rôle n’est plus, n’est pas d’apporter des solutions mais de permettre l’émergence de celles-ci dans le groupe .. [[5]]
La participation exige un engagement des cadres, des élus et une ouverture au changement. Elle présuppose l’acquisition de nouvelles compétences dans l’animation et la communication, la concertation, l’ingénierie participative de programme[[6]]. Elle est non seulement chronophage mais de plus elle impose une souplesse institutionnelle et de nouvelles formes de mobilisation des ressources tant humaines que matérielles et financières.

Pour que cet accompagnement et cette participation soient envisageables, il faut, au départ, une prise de conscience conjointe de la part des professionnels et de la population d’un besoin, d’une situation problème et de la demande qu’elle génère ou pas de part et d’autre. L’accompagnateur doit tenir compte des niveaux de participation préexistants de ces acteurs, des niveaux décisionnels que sont prêt à partager les décideurs habituels, et des événements internes ou externes qui ont suscité ces motivations. La rencontre de ces courants ascendants et descendants est nécessaire à une démarche de programmation participative. Il n’y a pas de niveau de participation idéal à atteindre. Il n’y a pas ce qui serait souhaitable mais ce qui est réalisable en terme de changement. Si, au départ, il n’y pas de prise de conscience de ces acteurs, la participation peut aller de la sensibilisation àl’information et passe souvent par de la formation accompagnée de processusd’autorisation[7] qui vont favoriser l’appropriation[8] et l’émergence de demandes puis de solutions. Ainsi le citoyen peut se mobiliser ou être mobilisé pour recevoir de l’information, être consulté, donner son avis, participer à la planification, négocier, devenir codécideur, voir devenir cogestionnaire, décideur autonome en complète maîtrise d’une situation[9].

Cette participation peut s’exercer dans différents cadres, sur une thématique, un projet précis ou encore sur l’ensemble des secteurs à des niveaux élevés comme dans le cadre de plan Etat Région[10].

Ce processus d’autonomisation, « d’empowerment »[11], est un processus continu où les individus et/ou les populations accèdent à la confiance, l’estime de soi, la compréhension, au pouvoir nécessaires à l’énonciation de leurs préoccupations et à la garantie que des actions sont entreprises pour y répondre.

Ce concept est au centre des approches pour la promotion de la santé en matière d’action …

Pourquoi la participation dans le secteur de la santé?

Il s’agit de répondre à des besoins et à une demande des acteurs.

La participation permet une approche plus fine des besoins liés aux nouveaux problèmes (vieillissement, précarité, maladies nouvelles). De plus, si les Français ont une espérance de vie à la naissance de 78 ans, on constate aussi que la mortalité prématurée, avant 65 ans, est l’une des plus élevée d’Europe. Elle révèle des disparités, voir des inégalités régionales et sociales inacceptables. Elle est largement due à des causes relevant moins des soins curatifs que d’interventions en amont sur les comportements.[12]  Enfin l’accès au système de soins de la population en grande précarité pose question [ [13]].

Si les usagers veulent devenir acteurs, les acteurs institutionnels sont également intéressés par la participation. En effet, ces démarches participatives, garantes de l’appropriation et de la durabilité des programmes, pourraient servir de relais territorial aux politiques nationales et régionales. Elles devraient venir enrichir les dynamiques descendantes et ascendantes nécessaires aux mécanismes de décentralisation en cours. En effet, elles permettent :
- de mieux repérer les problématiques de santé à travers l’espace de réflexion et d’analyse pluridisciplinaire,
- d’initier à partir des diagnostics ainsi partagés, des formes organisationnelles , souples, évolutives, mobilisatrices,
- d’élaborer et mettre en œuvre des réponses intersectorielles parfois innovantes, toujours de proximité et de toute façon nécessaires pour faire face aux problèmes locaux et multicausaux qui se posent[[14]] ;
- de contribuer aux changements de comportements en cause dans la mortalité prématurée.

Cette participation peut s’exercer dans différents cadres, à différents niveaux. Ainsi la participation est mise au premier plan des Ateliers Ville Santé dans les domaines de la Souffrance – maladie mentale, Accès aux droits / Citoyenneté, Toxicomanies / Addictions, Sida, Nutrition / Obésité / Diabète, Santé des jeunes, Promotion / Éducation / Information / Prévention santé, Offre et Accès aux soins, Travail en réseau / Coordination d’actions, Diagnostic local santé. [[15]]

 


 


Préparer le terrain à la participation des habitants: programmer la participation.
Projet Contrat de Ville Saint Fons, Programmation 2000-2003

Contexte

En 1998, des professionnels de la ville de Saint-Fons observent que leurs bénéficiaires posent des problèmes de santé qui ne trouvent pas de réponses satisfaisantes. Ils ne souhaitent pas une approche classique, « trop chère, résultats pas clairs ». Ils veulent décloisonner tous les acteurs et impliquer leur participation à toutes les étapes. Ils inscrivent cette demande dans le cadre de la programmation 1999 de la politique de la ville.

Eléments pris en compte pour programmer cette démarche participative

Les professionnels de proximité gèrent beaucoup de projets avec une grande autonomie décisionnelle. Du fait de son histoire, un grand nombre de réseaux fonctionnent sur la ville. Cependant, les acteurs de santé du secteur libéral n’ont jamais pu être mobilisés. Les bénéficiaires participent ponctuellement à l’élaboration de certaines actions, il y a une volonté déclarée de les impliquer au niveau projet.
•    Il n’est pas question de développer un nouveau réseau mais d’initier des comités
transversaux.
•    Contrairement à la demande, il n’est pas envisageable, à ce stade, d’initier une vaste mobilisation communautaire : le partenariat existant est surtout institutionnel, les associations d’habitants doivent être intégrées aux réseaux. Le système de santé lui-même n’est pas prêt à recevoir de nouvelles demandes. Les élections municipales prochaines ne sont pas compatibles avec une telle mobilisation : elle apparaîtrait comme une pré-campagne. Enfin, il y a peu de fonds rapidement disponibles pour soutenir des projets décidés par la population. Finalement, seule une programmation communautaire ponctuelle pourrait être réalisée.
•    Le projet devra d’abord renforcer les professionnels du secteur sanitaire et social ainsi que le réseau locale de santé tout en identifiant les groupes à risques pour envisager des programmations communautaires.


Comment s’est déroulé le projet?

PHASE DE PREPARATION.

Trois réunions et trois ateliers d’initiation avec des professionnels de vingt institutions du secteur sanitaire et social de Saint-Fons ont permis de sensibiliser les partenaires à la démarche de programmation participative. A travers une approche pragmatique, ils se sont mobilisés autour des points forts et des problèmes prioritaires pour eux ou pressentis prioritaires pour les bénéficiaires, ils ont validé la démarche proposée.
PHASE de PRE-PROGRAMMATION, de RENFORCEMENT et de FORMATION (6 à 12 mois)  et PHASEde PROGRAMMATION COMMUNAUTAIRE (6 à 12 mois).

Ils ont analysé ces problèmes en s’appuyant sur l’analyse causale dont ils ont généré les objectifs. Ils ont mobilisé d’autres partenaires ressources.
Cette première phase a débouché sur un travail partenarial renforcé, un plan d’action, et l’acquisition d’une Démarche commune de Programmation Participative[16] l.

Des comités de pilotage composés de professionnels des 20 institutions mobilisées se sont crées autour des points prioritaires suivants : la souffrance psychique de la population et le fait que les professionnels se sentent démunis devant cette souffrance ; les difficultés d’accès aux soins. Dans tous ces domaines, des projets ont été validés par les élus, intégrés au projet contrat ville 2000-2003 et mis en oeuvre. Ils ont identifiés les groupes à risques : les jeunes et plus particulièrement les jeunes hommes (public mission locale disposant de faibles ressources financières), les hommes vivant seuls (foyers Sonacotra … ), les SDF sur la commune, les personnes vivant avec des ressources supérieures au seuil C.M.U. et inférieures au S.M.I.C.. Pour ce derniers, ils développent, avec la Mutualité du Rhône, l’accès à une mutuelle. Les interventions sont conçues avec les populations et les professionnels concernés. Ils accompagnent de manière volontariste ces personnes, les conseillent, les soutiennent dans leurs démarches, leur donnent des outils d’autonomisation. Ils développent notamment un Point Ecoute Jeune, une relation suivie avec les libéraux de santé et un réseau local associant le secteur social, de l’insertion et de la santé. Un Comité d’Initiative Locale Habitants est créé et doté à l’initiative de la Ville, l’État et le FAS. Il vise à la promotion d’initiatives d’habitants générant du lien social. Les habitants, organisés ou non en association, sont suivis dans leurs demandes par des accompagnateurs de projets. Le comité se réunit tous les mois pour décider des participations financières aux projets présentés par les porteurs, contribuer à leur développement et assurer un suivi.



Quels sont les résultats de ce projet ?

•    Le travail partenarial, les professionnels et le réseau local de santé sont renforcés.
•    Les professionnels ont acquis une démarche de programmation participative, des outils réutilisables avec la population. Mais, le contexte électoral ne leur a pas permis, dans le cadre du projet, d’appliquer directement cette démarche avec les populations à risques. Une partie des professionnels qui le souhaitaient ont pu néanmoins agir comme facilitateurs dans le cadre d’ateliers où participaient d’autres institutions et associations d’habitants.
•     Les partenaires du secteur social, sanitaire et politique ont développé une vision commune de la situation et mis en œuvre un programme global qu’ils ont validés à chaque étape.
•     Les professionnels du secteur libéral peuvent être mobilisés sur des sujets précis comme l’accueil et l’accompagnement de patients en grande précarité.
•    Des associations d’habitants ont été mobilisées pour analyser, avec les professionnels, la situation et programmer des activités visant à renforcer le système de santé locale.
•    Le système de soins est prêt à répondre aux demandes qui vont être ainsi suscitées .
•    Le terrain est prêt pour une participation directe des habitants.


Des professionnels, des parents qui se préparent, des enfants qui participent.
Ecole Primaire «  »" »,  Réseau d’Education Prioritaire, Lyon.

Au premier  conseil d’école de l’année 98/99 des faits de violence sont évoqués, rackets, vol, incivilités. Un groupe se forme[17]. Il est constitué de parents d’élèves réunis en association, d’une aide éducatrice,  des enseignantes, des deux  membres de l’équipe médico-social, d’une aide-éducatrice. Il se donne pour objectif de contribuer à mettre en place des moyens de prévention adaptés au contexte de l’école. La première année, accompagné par un sociologue, a surtout été consacrée à un travail de « recherche » et d’ouverture pour mieux comprendre ce qui se cachait derrière ce mot qui lui-même fait peur. Qu’appelle-t-on « violence » et quelles peuvent en être les causes ? Aussi, en plus de réunions à l’école, les membres du groupe ont participé (et organisé) des conférences, des débats et réflexions. Le professionnel a alors proposé au groupe un projet « clef en main » que ses membres n’ont pas retenus : « Nous voulons  pousser la réflexion jusqu’à un projet adapté à notre école ». Le groupe m’a contacté pour être accompagné dans une Démarche Participative de Projet en souhaitant que tous les acteurs de l’école participent.

Un atelier d’initiation a permis au groupe de confirmer leur demande et de programmer ensemble la participation. La participation des différents acteurs dont les enfants se fera par étapes.

Après avoir observé les aspects positifs et négatifs de la situation (modélisation systémique, outil d’évaluation rapide),  le groupe, conscient des points forts sur lesquels ils pouvaient s’appuyer,  ont priorisés  les problèmes suivants : « La faible cohérence apportée par les adultes face au comportement des enfants peut contribuer à l’incivilité. » ; « Les enfants sont révoltés par les réponses apportées ». L’analyse des ces problèmes leur a permis de développer entre autres les activités suivantes :

-  Dans un premier temps, ils ont réalisés un trombinoscope  de tous les adultes intervenants dans l’école afin de faciliter la communication, ont mis en place de rencontres informelles (apéros du vendredi au lieu-accueil, soirée orientale), ont développé un système de régulation et de médiation, se sont préparer à gérer les crises.
- Puis ils ont réactivé les conseils d’enfants et les ont accompagnés à développer des projets sur des sujets choisis par ces mêmes enfants;
- Enfin, à partir du travail mené par les conseils d’enfants, les enfants encadrés par les adultes ont établi le “dossier de vie collective” de leur école.


Conclusion

Préparer le terrain et ses acteurs que sont les professionnels, les cadres et les élus permet d’inscrire la démarche dans la durée et de créer les conditions de niveaux de participation élevés.

 


[1] Barbier R., La Recherche Action, Anthropos,1997
[2] Bill Jackson, Traduit de Designing Projects and Projects Evaluations using the Logical Framework Approach, http://iucn.org
[3] Franchet Henri, Master II Promotion et Éducation pour la Santé, Polycopié, Université Lyon 1, 1995-2006 ;
[4] Adapté de BURY J., Education pour la santé, Bruxelles 1988
[5] Marcelle Delour, séminaire septembre 96 de la commission Développement social et santé, Document de travail, SFSP
[6] Participation de la population à la santé locale et au développement durable, Approches et techniques collection européenne développement durable et santé, N° 4, OMS, 2000.
[7] « s’autoriser à être auteur de ses apprentissages »Ardoino J., Barbier R, L’approche multiréférentielle en formation et en sciences de l’éducation, Pratiques de Formation/Analyses, N° 2526 avril 1993, université Paris 8, Formation Permanente.
[8] Des Gasper, gestion du cycle projet : carences et aléas du cadre logique, Analyse, Union Européenne, Le courrier N°179, mai juin 1999
[9] Adapté de Arnstein, S. Eight rungs on a ladder, of citizen participation. Journal of the Institute of American Planners, 1969. Brager, G. & Specht, H. Community organizing. New York, Columbia University Press, 1973. Davidson, S. Spinning the wheel of empowerment. Planning 1998.
[10] Exemple d’une Démarche Participative d’élaboration d’un Projet de territoire 2000-2010, labellisée Agenda 21 RIO et retenue dans les bonnes pratiques pour les niveaux de participation atteints présenté à Johannesburg 2002 :
[11] Walierstein,N, Bernstein E, Introduction to Community «empowernent », Participatory Education, and Health. Health Education, Q uartely, 1994.
[12] La santé en France, 2002, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Haut Comité de la santé publique.
[13] Bertolotto E, Santé publique et crise urbaine qans les quartiers défavorisés, revue Lumières de la Ville, N°S, juin 1992
[14] Franchet Henri, introduction, Bilan et perspectives des Ateliers Santé Ville, Jeudi 27 janvier 2005, Assemblée Nationale.
[15] Les Ateliers Santé Ville, territoire, santé publique et politique de santé au niveau locale, Les Editions de la DIV, décembre 2004
[16] Franchet Henri, Démarche de Programmation Participative (DPP) et d’Evaluation Participative (DEP), Site en cours d’élaboration, accès juin 2006.
[17] Contact Ecole Michel Servet, Bernard Golly, directeur.