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Appel à communications

Colloque international GIS Démocratie et Participation – CESSP - CHERPA

Les 16 et 17 Juin 2016 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le domaine des études de la participation en démocratie a produit ces dernières années une littérature ample et diversifiée, tant dans ses objets que dans ses approches. En dépit de ces nombreux apports successifs, les expressions d’émotions suscitées par les dispositifs de la participation n’ont été traitées jusqu’à présent que de manière partielle et indirecte. Plus encore que dans d’autres domaines d’étude des phénomènes politiques, l’étude systématique des émotions a été découragée aussi bien par des soupçons de psychologisme que par des perspectives prescriptives se réclamant d’une rationalisation procédurale supposée être l’antithèse des affects. De fait, les dimensions émotionnelles des politiques participatives ne sont apparues qu’en filigrane et en marge de questionnements centrés, par exemple, sur l’exclusion des publics plus démunis (Mansbridge, 1999 ; Young, 2000), les rapports entre conflits et participation (Blondiaux, 2008), ou bien encore l’étude des conventions pesant sur les modalités d’expression au sein des arènes participatives (Talpin 2006).

Partant de ce constat, cette journée d’étude invite les spécialistes de la démocratie participative à interroger les possibilités d’une meilleure prise en compte des émotions dans leurs analyses. Ce faisant, il s’agira de nourrir des réflexions analogues à celles déjà entamées dans d’autres domaines des sciences sociales (Bernard, 2015) telle l’histoire (Boquet, Nagy, 2011 ; Granger, 2014 ; Häberlen, Spinney, 2014), la sociologie du travail (Soares, 2003 ; Fortino, Jeantet, Tcholakova, 2015), ou bien encore l’étude des mobilisations (Jasper 1998, 2011 ; Lefranc, Mathieu 2009 ; Traïni, 2009 ; Sommier 2010).

Cet appel à communication privilégiera les approches empiriques permettant d’interroger la manière dont les dispositifs de la participation suscitent la mise à l’épreuve des émotions du public. Dans cette optique, il conviendra de ne pas négliger l’importance des contraintes pesant sur les arènes de la démocratie participative qui exigent, non seulement un contrôle minimal des affects, mais encore la maîtrise d’expertises relatives aux enjeux soumis aux débats, aux techniques de la communication, aux obligations juridiques, et de manière croissante à une ingénierie participative dédiée au bon déroulement de la participation (Mazeaud & Nonjon, 2015). En d’autres termes, l’étude ne peut faire abstraction ici des modalités selon lesquelles les émotions s’articulent à une forte exigence de formalisation contrôlée. Par formalisation, il faut entendre, plus précisément, que l’expression des émotions est soumise au respect de règles qui dessinent un accord sur ce qui apparaît convenable dans les circonstances observées. Certes, cet accord s’avère parfois plus ou moins bien partagé parmi les participants. Cependant, s’agissant de mobilisations encadrées par des acteurs relevant des institutions étatiques légale-rationnelles, les modes de coordination des acteurs impliqués combinent toujours mise à l’épreuve des émotions et formulation d’expertises, implication affective et appel à la distanciation (Traïni 2014, 2015).

Quatre axes étroitement interdépendants de réflexion seront privilégiés. Les propositions pourront s’inscrire au croisement de plusieurs thématiques, ou bien ouvrir sur d’autres pistes de questionnement en lien avec les problématiques de la participation des publics et la démocratie participative.

1. L’offre de participation et la formalisation des émotions

Cet appel à communication invite à récuser la conception selon laquelle l’expression des émotions relèverait inéluctablement de conduites improvisées, désordonnées, subversives, spectaculaires et dramatiques (le plus généralement attribuées aux populations les moins bien dotées en capitaux sociaux et culturels). A l’encontre de cette représentation éruptive des émotions, une grande attention sera accordée aux caractéristiques de l’offre de participation et aux propriétés qui résultent des choix du design participatif. Il s’agira d’examiner ici la manière dont l’élaboration et la mise en œuvre des dispositifs de participation s’efforcent de prescrire des états affectifs — certes souvent de basse intensité — sans lesquels l’implication du public demeurerait très improbable : sentiments d’urgence et de crainte relatifs aux enjeux technoscientifiques mis en débat ; honte associée à certaines figures telles celle du citoyen apathique, ou bien encore du stakeholders ne se préoccupant que d’intérêts particuliers ; satisfaction d’être reconnu parmi les interlocuteurs qui comptent ; compassion due à certaines catégories de population ; fierté de contribuer à l’amélioration d’une démocratie imparfaite, etc… Les descriptions empiriques s’appliqueront à préciser comment les procédures très formelles de la démocratie participative peuvent parfois contenir des injonctions à éprouver — voire plus encore à exprimer — des états affectifs d’une nature qu’il convient de spécifier en fonction des cas étudiés : sentiments d’injustice, colère, inquiétude, ressentiment, compassion, solidarité, satisfaction associée aux rôles attribués, fierté d’être ensemble, etc.

On pourra examiner la manière, a priori paradoxale, dont ces modes d’implication affective des publics s’articulent très étroitement à des mots d’ordre de distanciation. Par-là, il faut entendre que des formulations d’expertises s’appliquent à faire valoir la nécessité de réactions contenues et différées, soumise à des procédures codifiées, visant à la production de la meilleure décision collective qui soit. On pourra penser ici, par exemple, à la manière dont des dispositifs, tels le sondage délibératif, préconisent le dépassement progressif des réactions affectives immédiates à l’origine des préférences individuelles initiales. D’une manière plus générale, il importe d’examiner dans quelle mesure les émotions sollicitées ont pour vocation de préparer l’intervention d’experts de la participation chargés de les requalifier selon des modalités qui restent à préciser. Comment ces émotions sont-elles appréhendées par l’ingénierie participative ? En vue d’une médiation s’adressant à qui ? Avec quelles intentions et quels effets ?

La perspective pragmatique privilégiée ici n’exclura pas la possibilité d’interroger la manière dont les théories politiques préconisant un perfectionnement de la démocratie traitent la question des émotions. Comment l’expression des émotions est-elle envisagée dans les textes prescriptifs auxquels se réfèrent les promoteurs de la démocratie participative ? Comme une figure repoussoir ? Un aléa que les procédures doivent s’efforcer de juguler ? Ou, au contraire, un auxiliaire permettant d’améliorer la performativité des dispositifs de la participation ? Dans cette optique, quelles fonctions salutaires sont prêtées à l’expression des émotions ? Plus encore, quelles généralisations théoriques sont-elles alors évoquées ? Des effets de catharsis, pour ne pas dire de « purge » ? Un nivellement des compétences permettant l’inclusion du plus grand nombre ? Le moyen le plus sûr d’assoir la participation sur une reconnaissance au sens qu’Axel Honneth donne à ce terme ?


 

2. Normes affectives et travail émotionnel au sein des arènes de la participation

Etudier les dimensions émotionnelles des formes d’engagement des publics dans les assemblées reviendra à tirer parti des précieux apports des approches ethnographiques de la participation (Cefaï et al., 2012). Les postures descriptives qui caractérisent ces dernières, en effet, permettent de restituer au mieux, non seulement les aspects strictement discursifs des interactions, mais encore les dimensions non-verbales, les gestes, les mimiques, les tonalités de la voix et autres indices témoignant de corps affectés. Ce faisant, ces approches empiriques s’avèrent indispensables afin de mettre à jour les normes qui régissent les modalités d’expression manifestement tenues pour légitimes au sein des publics rassemblés. Loin de se réduire aux prescriptions visées par les ingénieurs de la participation (voir supra), ces normes affectives trahissent souvent la prégnance des cultures civiques propres aux contextes étudiés (Berger, 20012 ; Tawa-Lama, 2015).

Les communications pourront ainsi s’attacher à décrire dans quelle mesure la justesse de la participation dépend de la capacité à exprimer des émotions jugées convenables, voire obligatoires (Mauss, 1969). En d’autres termes, il convient ici de repérer des systèmes d’émotions — aussi bien prescrites que proscrites — qui servent de points d’appui aux montées en généralité, aux déclarations d’allégeance à des identités collectives, à la désignation des portes paroles les plus légitimes, etc… Dans cette perspective, les manifestations d’indignation, de réprobation, voire d’hostilité, qui résultent de la transgression des conventions en vigueur offrent souvent des indicateurs précieux des attentes qu’elles commandent habituellement. De fait, l’observation empirique gagnera à être attentive aux situations de désajustement, aux montées en tension, aux rappels à l’ordre de ceux qui ne s’émeuvent pas conformément aux normes dont dépend la bonne intégration au collectif (Paperman, 1995).

Par ailleurs, l’encadrement procédural qui caractérise la démocratie participative dicte de prendre en compte la manière dont la sociologie du travail s’est emparée de la question des émotions. A ce propos, on ne peut ignorer l’apport essentiel de l’œuvre d’Arlie Hoschild (Hoschild, 2003). La sociologue américaine, en effet, a démontré à quel point, au sein de nombreuses professions, la gestion de ses propres émotions, ainsi que de celles d’autrui, constitue une compétence professionnelle à part entière. Loin de se contenter de relever l’existence des émotions prescrites au travail, l’analyse se doit alors d’examiner les procédures et les processus d’apprentissage d’un « travail émotionnel » consistant à moduler ses états affectifs conformément aux exigences propres aux métiers. Dans une telle perspective, les communications pourront interroger dans quelle mesure l’animation ou la simple participation à des dispositifs de la participation impliquent l’acquisition de savoir-faire spécifiques lorsqu’il s’agit d’exprimer des émotions tout en s’efforçant de peser sur celles du public. Quelles sont les techniques mises en œuvre indispensables pour récuser l’indifférence fatale à toute participation ? Quelles aptitudes ces techniques exigent-elles ? Un jeu superficiel (surface acting) ou un jeu en profondeur (deep acting) ? Quelles formes d’apprentissages, ou organisation des rôles, exhortent les professionnels de la participation à trouver une bonne distance visant à leur éviter d’être pris dans des situations affectives intenables ?

3. Les émotions et le débordement des dispositifs institutionnels

D’une manière très générale, l’une des propriétés cruciales des effets des dispositifs institutionnels est de ne jamais totalement se réduire à ceux escomptés par leurs concepteurs. De fait, loin de pouvoir se contenter d’interroger les intentions stratégiques à l’origine de leur élaboration, l’analyse commande également de saisir les multiples formes d’appréciation et d’appropriation dont ils peuvent faire l’objet de la part de publics qui ne demeurent jamais de simples cibles passives. Ainsi de nombreux travaux consacrés à la démocratie participative ont souligné l’importance des processus de débordement des dispositifs institutionnels par des réactions et des conduites qui échappent aux anticipations et aux contrôles des ingénieurs de la participation. La perspective de ce colloque invite, par conséquent, à examiner dans quelle mesure l’expression de certaines émotions contribue grandement à alimenter ces dynamiques de débordement.

Dans quelle mesure les discours et postures ironiques des participants manifestent-ils des formes de défiance qui, en dépit de leur faible intensité, peuvent s’avérer déterminantes dans la dynamique des concertations (Barbier, 2005) ? Comment à travers les accusations de « mépris » lancées contre les autorités (Cefaï, Lafaye, 2001) certains publics s’efforcent-ils parfois de prendre le contrôle de la concertation à laquelle ils ont été conviés ? Le thorubos — le tumulte des participants — ne permet-il pas aux publics les plus nombreux de contourner les modes d’expression et les procédures imposées par les experts de la participation (Cossart, Talpin, Keith, 2012) ? D’une manière plus générale, les montées en tension liées à l’expression des émotions ne facilitent-elles pas les entreprises visant à ouvrir « un débat sur le débat » (Fourniau, 2007) ? Dans le cadre des controverses, les contre-expertises formulées pour récuser les projets des autorités ne sont-elles pas d’autant plus performatives qu’elles impliquent des connotations affectives qui n’échappent pas au public ? On pourra également examiner la manière dont l’enchaînement des phases de la concertation peut susciter des états affectifs alternatifs qui suscitent le trouble et la démobilisation des publics rassemblés. Comment, par exemple, des attentes enthousiasmantes peuvent être suscitées puis déçues par le zèle procédurier des maîtres d’œuvre de la participation ? Une perspective plus particulièrement centrée sur le vécu subjectif évolutif des participants pourra également examiner dans quelle mesure l’expérience affective, inattendue et éprouvante, qui résulte de la participation à des dispositifs tels les jurys citoyens peut inciter certains individus à renier les rôles distribués par les ingénieurs de la participation (Barbier, Bedu, Buclet, 2009).


 

4. Les états affectifs au sein du corpus de l’enquête.

Les communications pourront traiter des questions de méthode ayant trait à l’étude des dimensions affectives des procédures et processus de la démocratie participative. La difficulté ici est d’éviter d’indéfiniment proroger l’enquête empirique en prétendant pouvoir préalablement clore les débats relatifs à la meilleure manière de conceptualiser et de classifier les multiples formes d’états affectifs (« émotions », « affectivité », « affects », « sentiment », « humeur », « passion »…). A minima, il convient de ne pas confondre, d’une part les états affectifs exprimés, d’autre part les états affectifs éprouvés. Inférer directement les seconds des premiers constitue, bien évidemment, une erreur qui relève de la surinterprétation (Mariot, 2001). Plus précisément encore, l’étude de ces deux domaines de phénomènes interdépendants requiert des formes de connaissance sociologique bien distinctes (Traïni, 2010). L’observation des états affectifs exprimés, pour sa part, exige une perspective compréhensive de type sémiologique dans la mesure où il s’agit bien de rendre compte de l’un des fondements de l’intercompréhension et des interactions entre les acteurs étudiés. L’analyse des états affectifs éprouvés, en revanche, nécessite une prise de risque interprétative bien plus grande qui relève du paradigme indiciaire (Ginzburg, 1989). Tenter de reconstituer les sentiments et les sensibilités des acteurs, en effet, nécessite le recoupement de traces et d’indices perçues, parfois de manière très indirecte, à travers des données souvent hétérogènes : entretiens, récits de vie suscités ou autobiographies, observation participante, comparaison des cas dans le temps et dans l’espace, indicateurs statistiques semblant révéler des propriétés sociales distinctives, etc…

Là encore, il s’agira de centrer ces réflexions méthodologiques sur les problématiques propres à l’étude de la participation des publiques et de la démocratie participative. Le centre de gravité de ce domaine d’étude ne justifie-t-il pas de s’en tenir exclusivement aux émotions exprimées publiquement ? Dans quelle mesure, au contraire, l’analyse des dispositions affectives que les individus doivent à leur histoire — et dont dépend ce qu’ils éprouvent sans nécessairement l’exprimer — constitue une indispensable pièce de l’enquête ? Dans des contextes aussi normativement contraints, comment éviter que l’analyse des dispositions affectives des acteurs puisse être confondue avec ces entreprises de disqualification à travers lesquelles leurs détracteurs s’efforcent parfois de rabattre les principes qu’ils proclament sur des mobiles moins avouables ? Comment refuser que les « émotions » — comme parfois les « intérêts » — puissent simplement alimenter des explications réductrices et téléologiques des conduites individuelles ?

Les communications pourront interroger les implications de tels questionnements en décrivant la manière dont elles ont pesé au cours de leur enquête sans craindre de souligner les éventuelles difficultés rencontrées.

Ce colloque est interdisciplinaire. Les communications en provenance de toutes les disciplines concernées par l’étude des phénomènes participatifs et délibératifs à caractère empirique ou théorique sont bienvenues : sociologie ; science politique ; aménagement, urbanisme et géographie ; histoire ; sciences de l’information et de la communication ; philosophie ; social science studies…

Les propositions (3 à 5 000 caractères) devront :

expliciter les questions soulevées et la méthode retenue et devront être envoyées au plus tard avant le 1er décembre 2015 à :

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Responsables

Loïc Blondiaux (Université Paris 1, CESSP)

Christophe Traïni (IEP Aix-en-Provence, CHERPA)

Comité scientifique

Rémi Barbier (ENGEES, Strasbourg)

Daniel Cefaï (EHESS)

Francis Chateauraynaud (EHESS)

Paula Cossart (Université Lille III, CeRIES)

Philippe Corcuff (IEP Lyon, Cerlis)

Jean-Michel Fourniau (IFSTTAR, Gis Démocratie et participation)

Alice Le Goff (Université Paris V, CERSES)

Catherine Neveu (EHESS, IIAC)

Magali Nonjon (IEP Aix-en-Provence, CHERPA)

Isabelle Sommier (Université Paris 1, CESSP)

Julien Talpin (CNRS, CERAPS)

Joëlle Zask (Aix Marseille Université)