Un nouveau paradigme du développement 

« L'histoire récente des interventions en milieu rural est marquée par un passage progressif, ces 20 dernières années, d'une méthode interventionniste vers une plus grande implication des populations rurales dans leur propre développement.

Les premiers projets visaient à répondre au niveau très bas de production agricole face à une faible mise en valeur des ressources dont ces pays disposaient. Ils ont traités les problèmes en termes productivistes en introduisant des paquets techniques et une vulgarisation d'accompagnement utilisant parfois des méthodes d'animation et d'éducation rurale. Ces projets, face à un environnement économique et social inadapté aux innovations introduites et face aux besoins essentiels croissants des populations ont dû remplir les vides en équipement et aménagement pour devenir de grands projets intégrés souvent difficiles à gérer.

Parallèlement, des ONGs, plus proches des populations, ont ouvert la voie au micro-projets à l'échelle des communautés villageoise et de leur capacités d'appropriation de leur propre développement. Ces tentatives sont restées d’envergure limitée mais ont montré leur intérêt dans un contexte où la pression interne et externe allait dans le sens d'un désengagement de l'Etat et de la montée de la société civile. »[1]

Les années 1960-1970 ont d’abord été celles d’un certain “spontanéisme” de la participation »[2][]. Il faut dire que la science et le savoir expert gardaient, à ce moment, encore toute leur légitimité et leur primauté. Puis, les mobilisations se sont peu à
peu faites de plus en plus radicales : « Le courant dominant dans les années 1970 s’inscrit dans une démarche conflictuelle avec les pouvoirs publics centraux ou locaux »[3][].

1989, Le budget participatif de Porto Alegre, 1,5 millions d’habitants, marque un tournant dans les processus participatif. A grande échelle une mairie invite les citoyens à participer aux décisions qui les concernent : « la mairie consulta les habitants des quartiers pour déterminer en concertation les priorités d'investissements. Les demandes qui remontèrent furent très nombreuses et sans commune mesure avec les financements disponibles. La déception des habitants fut très grande, si bien que la mairie qui avait réussi à mobiliser 700 personnes la première année, se trouva avec 400 personnes les deux années suivantes. Ce n'est que progressivement, en voyant sortir de terre ce qu'ils avaient demandé, que les habitants commencèrent à venir de plus en plus nombreux. Les difficultés de la première année, cependant, illustrent bien une principale caractéristique du Budget Participatif de Port Alegre qui ne se résume pas en une simple intervention des habitants sur la répartition des ressources, mais est aussi un instrument de choix politique qui permet à la population et au pouvoir politique de se concerter sur le type de recettes, c'est à dire d'impôts, et par là, dans la réalité d'opérer un certain réajustement des richesses, en jouant sur les recettes et les dépenses. Dès la première année, en 1989, les habitants découvrirent, devant la fiscalité progressive mise en œuvre, la possibilité de financer les investissements qu'ils avaient eux-mêmes érigés en priorité lors des discussions budgétaires, organisées dans chaque secteur»[4].

1992, lors du Sommet de la Terre de Rio, le dixième principe indique très clairement que la participation du public, pour les décisions qui concernent son environnement, est essentiel : « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. […] Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci »[5][

Le développement participatif et l’économie solidaire de nos jours ont en commun de tendre vers une forme de solidarité horizontale où chacun s’insère délibérément dans un projet collectif, qu’il soit dit hier « de développement » ou aujourd’hui « économique », et « impliquent des décisions collectives »[6]. Enfin ils diffèrent pour mieux rendre compte de nos changements de sociétés : le concept de participation renvoie à une inclusion de l’individu dans le groupe relevant du « partage », c’est-à-dire de l’assignation à chacun d’une place et d’un rôle sur la partition sociale ; le concept de solidarité met de son côté l’accent sur une spontanéité de réciprocité entre individus, relevant plutôt de « l’échange », c’est-à-dire d’une entente négociée par chacun autour d’un enjeu commun. En ce sens, de récents travaux menés sur les nouvelles initiatives participatives au Sud ont bien montré que l’économie solidaire prend moins la forme d’une participation que d’une auto-organisation ou d’une mobilisation associative[7]. Elles s’inscrivent à cet égard dans des stratégies qui sont « l’objet d’une délibération et d’une négociation collectives »[8].

“ Nous sommes témoins, de nos jours, de l’émergence d’un nouveau paradigme du développement, dans lequel s’enracine une terminologie nouvelle, avec des mots tels que : décentralisation, démocratie, autogestion, durabilité, équité, participation,…Ce changement de termes et de concepts implique une certaine redéfinition des rôles, des responsabilités et des pouvoirs entre l’Etat, le privé et les organisations. Mais pour qu’il y ait changement des institutions, il faut une perspective de long terme et un mode d’apprentissage à la fois patient et exigeant. ”[9]

 


[1] FAO avril 2005

[2] GAUDIN, Jean-Pierre, 2007, La démocratie participative, Armand Colin, Paris, p. 15.

[3] WUHL, Simon, 2008, “La démocratie participative en France: repères historiques”, Institut de recherché et débat sur la gouvernance [en ligne, Programme Coproduction du bien public et partenariats multi-acteurs, mis en ligne septembre 2008, consulté le 2 juillet 2012. URL: http://www.institut-gouvernance.org/fr/analyse/fiche-analyse-418.html

[4] Martine Toulotte in PORTO ALÈGRE, UN EXEMPLE DE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE A SUIVRE, TRIBUNE POLITIQUE INTERNATIONALE Texte de l'intervention sur le budget participatif lors du congrès 2000 des Alternatifs

[5] ORGANISATION DES NATIONS UNIES, 1993, Département de l’information, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. Principes de gestion des forêts, mai 1993. URL. http://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm

[6] NUNES D., 2006, « Participation populaire », in LAVILLE J.-L., CATTANI A. D., Dictionnaire de l’autre économie, Paris, Gallimard Folio, p. 505.

[7] FRAISSE L., GUÉRIN I., LAVILLE J.-L. (dir.), 2007, « Économie solidaire : des initiatives locales à l’action publique », Revue Tiers Monde, n° 190, Paris, Armand Colin.

[8] LAVILLE J.-L., 2006, « Solidarité », in LAVILLE J.-L., CATTANI A. D., Dictionnaire de l’autre économie Paris, Gallimard Folio, p. 617.

[9] Chambers (1997)