Bilan et perspectives des Ateliers Santé-Ville

Les élus et les programmes territoriaux de santé publique

Jeudi 27 janvier 2005 – Assemblée Nationale

Introduction au séminaire Henri Franchet

« Depuis 2000, la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV) avec la Direction Générale de la Santé impulse un certain nombre de démarches, et en particulier les “ASV”. Une étape de leur développement a été franchie. Ainsi, ce qui était au stade de l’expérimentation ne l’est plus, puisque cent trente communes sont désormais engagées dans les ASV. Avec les DASS comme pilote, ce dispositif permet aujourd’hui, à partir de diagnostics partagés, de mettre en place des formes organisationnelles souples, évolutives, mobilisatrices et participatives, pour apporter des réponses sectorielles et innovantes aux problématiques de santé au sein des collectivités locales.

Les ASV répondent à un certain nombre de préoccupations différenciées. Il s’agit de construire des plates-formes partenariales qui servent de relais aux politiques nationales et régionales en permettant leur adaptation aux situations locales. Ils confirment un meilleur engagement des élus locaux en matière de santé et l’intégration des politiques de santé publique aux actions en faveur des populations les plus vulnérables. S’il s’agit, pour résumer, d’une territorialisation des politiques nationales, les ASV développent également des stratégies et des projets propres pour réduire les inégalités sociales et territoriales de santé à des échelles pertinentes. Les élus peuvent ainsi enrichir les dynamiques ascendantes et descendantes du mécanisme de décentralisation en cours. Toutefois, cette démarche progresse dans un contexte législatif en forte évolution. Nous nous situons aujourd’hui dans une phase de consolidation des ASV, mais également dans une optique de prospective pour envisager la place des programmes territoriaux de santé publique.
Le moment est désormais venu, pour la politique de la Ville et la Délégation Interministérielle à la Ville, de faire le point avec vous, élus locaux, pour porter un regard critique sur le bilan des ASV et pour faire valoir l’importance de votre engagement en matière de santé publique. Nous allons donc tenter de capitaliser les plus-values des ASV afin que ceux-ci soient, dans un avenir proche, mieux pris en compte aux niveaux régional et national. Ce séminaire nous permettra enfin d’échanger avec le ministre délégué au Logement et à la Ville. »

 

Articles mensuels par Henri Franchet

Les élus et les programmes territoriaux de santé publique

Henri FRANCHET·Consultant en développement local et santé communautaire in·Bilan et perspectives des ateliers Santé-Ville, Assemblée Nationale, ·Paris, jeudi 27 janvier 2005·

I. Un accord général sur les méthodes et sur les diagnostics

1. De la recherche à l’action

Les différentes interventions semblent s’accorder sur la nécessité de passer du stade de l’expertise à celui de la gouvernance. Il s’agit, en quelque sorte, d’un passage de la recherche à la recherche-action, dans laquelle l’action prédomine. Il nous faut passer de l’objet au sujet, afin d’agir, désormais,“avec” et non plus “pour”.

2. La délicate combinaison d’approches différenciées

Les difficultés rencontrées sont les conséquences directes de cette transition à opérer. Vous combinez des approches rationnelles et des approches pragmatiques en tentant de décloisonner les différents systèmes curatifs/préventifs, public/privé, historiquement distincts dans notre pays. Vous tentez de rendre transversales des problématiques historiquement verticales.

3. Pour une pleine reconnaissance des indicateurs locaux

Vous vous retrouvez également dans un système d’évaluation comprenant différents indicateurs et la reconnaissance de cette diversité est un de vos objectifs. Les indicateurs de proximité, en effet, vous semblent à privilégier aux indicateurs nationaux pour mettre en oeuvre les politiques de santé publique. La transformation que vous entreprenez doit, pour des nécessités pédagogiques, être développée à différentes échelles territoriales.

II. Les interventions situent les élus locaux à la confluence de deux courants

Vous vous situez, d’après l’ensemble des interventions, à l’intersection de deux logiques :
un courant ascendant, que vous développez depuis la base, qui tend à transversaliser les pratiques;
un courant descendant, représenté par les politiques nationales de santé.

1. Le courant ascendant, produit souvent de diagnostics locaux

Il s’agit d’un vaste mouvement d’ensemble qui s’enracine dans les diagnostics quotidiens que vous réalisez à propos des problèmes rencontrés au niveau local.Vous prenez conscience, sur le plan éthique, des difficultés des populations qui sont de votre ressort.Vous vous êtes donc lancé dans des stratégies de partenariat mobilisatrices, installant la notion de participation au coeur des dispositifs d’analyse. Vous vous situez dans une dynamique de recherche de reconnaissance et de légitimité des acteurs de terrain et des politiques menées au niveau local. Les ASV, d’après les différentes interventions, sont un des outils privilégiés de ce mouvement, tout comme le territoire est le niveau optimal de conception et d’action. La mobilisation des acteurs et la recherche de moyens de fonctionnement supplémentaires sont au coeur de cette démarche ascendante.

2. Le courant descendant, résultat d’évolutions législatives fortes

Je ne vais pas ici reprendre l’ensemble du propos de Monsieur Eyssartier, mais il est évident qu’un cadre de travail rénové se met en place sur le plan législatif. Je pense notamment à la loi de santé publique et aux Groupements Régionaux de Santé Publique. L’Etat conserve 50 % de la décision et vous devez vous approprier les 50 % qui restent, même si cette· opération s’avère parfois délicate, comme Madame Lepée nous l’a démontré. Les Projets Médicaux de Territoire, à ce titre, représentent une occasion unique pour les élus locaux de faire valoir leur point de vue sur les politiques locales de santé publique. Il existe donc différents niveaux de concertation pour échanger, défendre vos idées et faire remonter vos observations.

III. Les interrogations qui restent en suspens

Il est possible de dresser une liste de vos interrogations et de vos constats :

Les Ateliers Santé Ville semblent répondre à vos attentes, comme la définition des cinq « R » semble l’avoir montré ; même si la question de la légitimité demande un approfondissement, vous vous sentez clairement responsables de la santé publique au sein de vos territoires respectifs et le décloisonnement des différentes structures est à développer en ce sens ; la culture du résultat et de la rationalité semble fermement ancrée dans les pratiques que vous souhaitez voir mises en oeuvre ; la mise en réseau demeure une priorité et si la commune est le niveau optimal d’action, vous vous interrogez sur les modalités concrètes de cette “mise en commun” ; la rencontre des courants ascendant et descendant vous questionne également et vous ne souhaitez qu’aucune des deux logiques ne prévale sur l’autre ; la question de la pérennité des dispositifs et des ressources humaines et financières retient votre attention, notamment dans la façon de concevoir le soutien de l’Etat aux démarches de santé publique que vous entreprenez" Bilan et Perspectives des Ateliers Santé-Ville       Assemblée Nationale, ·Paris, jeudi 27 janvier 2005· 

Un nouveau paradigme du développement 

« L'histoire récente des interventions en milieu rural est marquée par un passage progressif, ces 20 dernières années, d'une méthode interventionniste vers une plus grande implication des populations rurales dans leur propre développement.

Les premiers projets visaient à répondre au niveau très bas de production agricole face à une faible mise en valeur des ressources dont ces pays disposaient. Ils ont traités les problèmes en termes productivistes en introduisant des paquets techniques et une vulgarisation d'accompagnement utilisant parfois des méthodes d'animation et d'éducation rurale. Ces projets, face à un environnement économique et social inadapté aux innovations introduites et face aux besoins essentiels croissants des populations ont dû remplir les vides en équipement et aménagement pour devenir de grands projets intégrés souvent difficiles à gérer.

Parallèlement, des ONGs, plus proches des populations, ont ouvert la voie au micro-projets à l'échelle des communautés villageoise et de leur capacités d'appropriation de leur propre développement. Ces tentatives sont restées d’envergure limitée mais ont montré leur intérêt dans un contexte où la pression interne et externe allait dans le sens d'un désengagement de l'Etat et de la montée de la société civile. »[1]

Les années 1960-1970 ont d’abord été celles d’un certain “spontanéisme” de la participation »[2][]. Il faut dire que la science et le savoir expert gardaient, à ce moment, encore toute leur légitimité et leur primauté. Puis, les mobilisations se sont peu à
peu faites de plus en plus radicales : « Le courant dominant dans les années 1970 s’inscrit dans une démarche conflictuelle avec les pouvoirs publics centraux ou locaux »[3][].

1989, Le budget participatif de Porto Alegre, 1,5 millions d’habitants, marque un tournant dans les processus participatif. A grande échelle une mairie invite les citoyens à participer aux décisions qui les concernent : « la mairie consulta les habitants des quartiers pour déterminer en concertation les priorités d'investissements. Les demandes qui remontèrent furent très nombreuses et sans commune mesure avec les financements disponibles. La déception des habitants fut très grande, si bien que la mairie qui avait réussi à mobiliser 700 personnes la première année, se trouva avec 400 personnes les deux années suivantes. Ce n'est que progressivement, en voyant sortir de terre ce qu'ils avaient demandé, que les habitants commencèrent à venir de plus en plus nombreux. Les difficultés de la première année, cependant, illustrent bien une principale caractéristique du Budget Participatif de Port Alegre qui ne se résume pas en une simple intervention des habitants sur la répartition des ressources, mais est aussi un instrument de choix politique qui permet à la population et au pouvoir politique de se concerter sur le type de recettes, c'est à dire d'impôts, et par là, dans la réalité d'opérer un certain réajustement des richesses, en jouant sur les recettes et les dépenses. Dès la première année, en 1989, les habitants découvrirent, devant la fiscalité progressive mise en œuvre, la possibilité de financer les investissements qu'ils avaient eux-mêmes érigés en priorité lors des discussions budgétaires, organisées dans chaque secteur»[4].

1992, lors du Sommet de la Terre de Rio, le dixième principe indique très clairement que la participation du public, pour les décisions qui concernent son environnement, est essentiel : « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. […] Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci »[5][

Le développement participatif et l’économie solidaire de nos jours ont en commun de tendre vers une forme de solidarité horizontale où chacun s’insère délibérément dans un projet collectif, qu’il soit dit hier « de développement » ou aujourd’hui « économique », et « impliquent des décisions collectives »[6]. Enfin ils diffèrent pour mieux rendre compte de nos changements de sociétés : le concept de participation renvoie à une inclusion de l’individu dans le groupe relevant du « partage », c’est-à-dire de l’assignation à chacun d’une place et d’un rôle sur la partition sociale ; le concept de solidarité met de son côté l’accent sur une spontanéité de réciprocité entre individus, relevant plutôt de « l’échange », c’est-à-dire d’une entente négociée par chacun autour d’un enjeu commun. En ce sens, de récents travaux menés sur les nouvelles initiatives participatives au Sud ont bien montré que l’économie solidaire prend moins la forme d’une participation que d’une auto-organisation ou d’une mobilisation associative[7]. Elles s’inscrivent à cet égard dans des stratégies qui sont « l’objet d’une délibération et d’une négociation collectives »[8].

“ Nous sommes témoins, de nos jours, de l’émergence d’un nouveau paradigme du développement, dans lequel s’enracine une terminologie nouvelle, avec des mots tels que : décentralisation, démocratie, autogestion, durabilité, équité, participation,…Ce changement de termes et de concepts implique une certaine redéfinition des rôles, des responsabilités et des pouvoirs entre l’Etat, le privé et les organisations. Mais pour qu’il y ait changement des institutions, il faut une perspective de long terme et un mode d’apprentissage à la fois patient et exigeant. ”[9]

 


[1] FAO avril 2005

[2] GAUDIN, Jean-Pierre, 2007, La démocratie participative, Armand Colin, Paris, p. 15.

[3] WUHL, Simon, 2008, “La démocratie participative en France: repères historiques”, Institut de recherché et débat sur la gouvernance [en ligne, Programme Coproduction du bien public et partenariats multi-acteurs, mis en ligne septembre 2008, consulté le 2 juillet 2012. URL: http://www.institut-gouvernance.org/fr/analyse/fiche-analyse-418.html

[4] Martine Toulotte in PORTO ALÈGRE, UN EXEMPLE DE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE A SUIVRE, TRIBUNE POLITIQUE INTERNATIONALE Texte de l'intervention sur le budget participatif lors du congrès 2000 des Alternatifs

[5] ORGANISATION DES NATIONS UNIES, 1993, Département de l’information, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. Principes de gestion des forêts, mai 1993. URL. http://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm

[6] NUNES D., 2006, « Participation populaire », in LAVILLE J.-L., CATTANI A. D., Dictionnaire de l’autre économie, Paris, Gallimard Folio, p. 505.

[7] FRAISSE L., GUÉRIN I., LAVILLE J.-L. (dir.), 2007, « Économie solidaire : des initiatives locales à l’action publique », Revue Tiers Monde, n° 190, Paris, Armand Colin.

[8] LAVILLE J.-L., 2006, « Solidarité », in LAVILLE J.-L., CATTANI A. D., Dictionnaire de l’autre économie Paris, Gallimard Folio, p. 617.

[9] Chambers (1997)