Des principes solides

La coopération peut être approchée de deux manières, complémentaire et communautaire, ce qui fait que le travail coopératif est dual (Stéphanie Dameron, La dualité du travail coopératif, revue française de gestion, 2005). L’auteure démontre que ces deux approches s’entremêlent. Alors que dans un système de coopération complémentaire, des individus différents s’associent dans une logique de gain, la coopération communautaire rassemble des individus fortement ressemblants, avec une identité commune. Cependant, le projet est commun aux deux conceptions et ce n’est que la forme de rationalité qui les différencie (rationalité stratégique dans la première et identitaire dans la seconde). La même entreprise peut utiliser les deux, suivant l’évolution du marché, la dynamique de recrutement des collaborateurs (on peut démarrer avec des « missionnaires » et puis s’entourer ensuite de spécialistes qui adhèrent au projet). Cette analyse est intéressante car elle permet d’évacuer l’approche simpliste et préjugée qui consiste à ne voir dans les formes d’entreprises de l’économie sociale que des organisations de missionnaires. Les milliers de collaborateurs de FAGOR peuvent être des coopérateurs sans que cette coopération réponde à une motivation unique.

Le management coopératif s’appuie sur des principes essentiels, précisés par Jérôme Delacroix (Le management coopératif : un autre chemin vers la performance, Coopératique, 2006) :

  • La circulation libre de l’information ;
  • L’adoption de comportements basés sur la confiance et l’entraide ;
  • La conjonction recherchée de l’intérêt de l’entreprise et celui de chaque  salarié ;
  • La mise en œuvre de moyens humains, technologiques et organisationnels pour atteindre ces objectifs.

Cela suppose un environnement favorable, surtout l’adhésion de toutes les parties prenantes (dont les clients). Le management coopératif s’étend alors aux relations avec les fournisseurs mais aussi avec les consommateurs. La conjoncture et les affaires actuelles dans le domaine de l’agro- alimentaire montrent bien la volonté de nombreux consommateurs de mieux s’impliquer dans le système alimentaire, voire de participer à l’élaboration de produits (comme « consomm’acteur »). De nombreux outils informatiques facilitent cette coopération (réunions, espaces de travail collaboratifs, blogs, wikis...). Le web 2.0 favorise l’ouverture et la construction commune (projets ouverts et collaboratifs).

Depuis longtemps, Joël de Rosnay propose sa vision du monde global et de la société en réseau (Le macroscope, 1975). Il y développe la notion de société "fluide”, traversée par de nombreux réseaux. Le management coopératif s’appuie donc principalement sur la notion de réseau et de mise en commun de ressources et d’énergies. Les systèmes de coopération technologiques font l’objet de nombreuses études, montrant leur puissance, comme celle de Howard Rheingold (Foules Intelligentes, titre original : SMART MOBS, M21 éditions, 2005).

Il s’agit, cependant, de redonner du sens au travail, ce que proposait déjà K. Weick (voir plus haut).

Le sensemaking, donner du sens au travail

Pour imposer le management coopératif, il faut rechercher « l’interaction respectueuse » (confiance, honnêteté et respect de soi), mais aussi la curiosité et la volonté de travailler ensemble. Karl Weick propose trois sources de sens : la culture, la stratégie et la structure. La culture va produire des repères, indispensables à la pérennisation du modèle, quand la stratégie va préciser les conditions de la contribution de chacun. Enfin, la structure va poser le cadre formel qui va codifier la coopération, comme par exemple le type d’entreprise (SCOP ou SCIC).

L’intelligence collective, de nouveau à l’ordre du jour

Sur la base du proverbe connu : « l’union fait la force », on peut mettre en avant les gains de la coopération, à travers le concept d’intelligence collective. Dans un documentaire poignant, Naomi Klein (Auteure du célèbre « No logo ») décortique le phénomène de résistance de salariés touchés par la crise en Argentine et leur combat collectif pour mettre en place un modèle autogéré (The take, 2004, rel="noopener">http://www.thetake.org/). Certains salariés ont décidé de se fédérer pour relancer leurs entreprises pilotées selon un principe de démocratie directe. Trois ans après le documentaire, 1700 entreprises autogérées ont réussi à maintenir leur activité. On peut donc chercher à approfondir ce concept d’intelligence collective et son apport au management. L’intelligence collective désigne les capacités cognitives d’une communauté résultant des interactions multiples entre ses membres (ou agents). Des agents au comportement très simple peuvent ainsi accomplir des tâches apparemment très complexes grâce à un mécanisme fondamental appelé « effet de synergie ». Les conditions de réussite de ce modèle demeurent assez précises :

  • L’existence d’une communauté d’intérêt, par exemple autour de l’entreprise ;
  • La  libre appartenance de ses membres, l’entrée est volontaire et la participation personnelle ;
  • Une structure horizontale et des règles de gestion collective, les décisions stratégiques font l’objet d’un vote ;
  • Un espace collaboratif et des outils de coopération, la communication se fait en réseau pour permettre l’interaction de tous les membres ;
  • Un espace et des temps de partage pour faciliter et entretenir l’émergence d’une conscience commune.

Selon Emile Servan-Schreiber (Chercheur en sciences cognitives aux USA), il faut quatre « ingrédients » pour produire de l’intelligence collective : diversité des opinions, décentralisation des sources, indépendance d’esprit et, enfin, un mécanisme objectif pour extraire le consensus en toute transparence. On peut le voir sur ce schéma :

Le management de l’intelligence collective n’est donc pas la négation de l’individu et de ses opinions, bien au contraire, c’est une construction d’un consensus au contenu forcément riche car partagé et généré grâce à la complémentarité et aux synergies.