Lecture commentée de l’article de Philippe PERRENOUD: L’approche par compétences, une réponse à l’échec scolaire?
Extrait des actes du colloque de l’associationdepédagogiecollégialedeMontréalenseptembre2000.
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/2000_22.ht m |
Philippe PERRENOUD, enseigne à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève,
Monsieur PERRENOUD postule dans cet article que l’approche par compétences, dans l’acte de formation, va au-delà de la transmission plus ou moins élaborée de savoirs. En effet, selon lui, la possession de savoirs n’est pertinente que s’ils « sont disponibles et mobilisables à bon escient, au bon moment » « Assimiler des savoirs scolaires ne permet pas nécessairement de savoir s’en servir hors de l’école ».
Le « vrai savoir » selon lui, serait donc un savoir « intégré et opératoire ».
L’approche par compétences offre une autre entrée dans l’univers des savoirs, en ce qu’elle permet de constituer des ressources pour résoudre des problèmes et réaliser des projets.
Le savoir n’est ainsi plus acquis en tant que tel mais en tant que tremplin. Ainsi, chaque «
leçon peut devenir une réponse » ( Dewey) à un problème posé initialement. Cette approche modifie la posture de l’élève, qui passe « du statut de consommateur à celui de producteur de savoirs ».
Cependant, Monsieur PERRENOUD insiste sur le fait qu’il ne peut y avoir d’approche par les compétences que si les ressources requises ( connaissences et capacités) sont disponibles (une vigilance toute particulière s’impose vis à vis des élèves présentant des lacunes sur ce point). Par ailleurs, la mobilisation de ces ressources fait appel à des processus mentaux complexes que ne maîtrisent pas nécessairement les enfants de milieu défavorisé). Ces restrictions laissent craindre que l’approche par les compétences ne reproduise les inégalités initiales, et même ne les accroisse, en décourageant les élèves manquant de confiance en eux, mais studieux cependant. A supposer qu’existe une réelle volonté d’approcher l’enseignement par les compétences, il faudrait néanmoins résoudre le problème des inégalités sociales devant l’école. La pédagogie différenciée prendrait alors toute sa place.
L’auteur propose alors de conjuguer cinq stratégies pour lutter contre l’échec scolaire :
- Créer des situations didactiques porteuses de sens et d’apprentissages.
- Les différencier pour que chaque élève soit sollicité dans sa zone de proche développement.
- Développer une observation formative et une régulation interactive en situation, en travaillant sur les objectifs-obstacles.
- Maîtriser les effets des relations intersubjectives et de la distance culturelle sur la communication didactique.
- Individualiser les parcours de formation dans le cadre de cycles d’apprentissage pluriannuels.
Je retiendrai deux de ces stratégies : la stratégie n°2 et la stratégie n°3.
Je cite l’auteur.
A propos de la stratégie n°2 :
«L’approche par compétences complexifie et simplifie à la fois ce problème. Elle le complexifie parce que les situations d’apprentissage ne sont pas des exercices scolaires individuels, mais des tâches ouvertes et souvent collectives, inscrites de préférence dans une démarche de projet ou une conduite de recherche. En même temps, cette inscription simplifie l’ajustement des situations d’apprentissage aux possibilités et intérêts de chacun, dans la mesure où s’opère une division du travail spontanée ou négociée. qui propose à chacun une tâche à sa mesure et à son goût. »
Prenons le cas d’une séquence pédagogique introduisant un travail de groupe, chaque groupe étant sous la responsabilité d'élèves relais ( les élèves relais sont ceux qui ont fini avant les autres et dont il sera nécessaire de s’assurer qu’ils ont compris ce qui leur a permis d’obtenir le bon résultat, en particulier par la maîtrise des méthodes nécessaires ; leur rôle consiste, une fois leur travail fini à aider leurs camarades de groupe à s’approprier concepts et méthodes); nous pouvons trouver les éléments suggérés par Monsieur PERRENOUD :
- la dimension collective de la situation d’apprentissage : le travail en groupes.
- la dimension de tâche à la mesure de chacun : des élèves relais plus rapides et les autres moins motivés qu’il s’agit de rendre parties prenantes. Elle permet de valoriser ces élèves là, et de faire progresser chacun: faire comprendre à l’autre ce que l’on a soi-même compris est vecteur de progrès et d’enrichissement. Et recevoir des conseils plus individualisés permet de quitter certaines réticences à avouer ses faiblesses (lacunes) devant un grand groupe. C'est une expérience gagnants-gagnants.
A propos de la stratégie n°3 :
« Une pédagogie différenciée évite de proposer des tâches absurdes, parce que trop faciles ou trop difficiles, mais elle investit, une fois la situation lancée, dans une régulation constante de la tâche collective et de la part qu’y prend chacun. Autrement dit, en jouant sur l’étayage et le désétayage, l’aide méthodologique, la division du travail, la structuration du problème en sous-problèmes à traiter séparément, le professeur fait évoluer la tâche, l’ajuste et fait des choix décisifs »
C’est bien ici le cas, l’implication de chacun est plus forte: faire partie d’un petit groupe est plus impliquant que l’anonymat confortable du groupe classe. De son côté, le professeur joue le chef d’orchestre, délégant une partie de ses missions aux élèves-relais, mais investissant des rôles de régulation plus fine, d’aide méthodologique plus ciblée aux élèves en réelle difficulté que ne peuvent peut-être pas aider les élèves-relais.
Je conclus ce propos en citant de nouveau Monsieur PERRENOUD : « L’approche par compétences suppose une démarche très souvent coopérative, qui place l’enseignant, sinon à égalité avec ses élèves, du moins en position d’acteur solidaire de l’entreprise commune : produire un texte, mener à bien une expérience, conduire une enquête, etc.
Du coup, le rapport pédagogique s’en trouve changé, les personnes se dévoilent dans le travail, ce qui est, ici encore, à double tranchant :
jusqu’à un certain point, cela permet d’échapper au face à face maître-élève, au jeu du chat et de la souris, aux mécanismes de contrôle et de défense, à la défiance et à la ruse, de part et d’autre ; en même temps, le travail est le théâtre de rapports de pouvoir, de conflits et d’exclusion. »
Le type de situation proposée dans cette séquence pédagogique me semble bien être une illustration de l'approche par compétences sous l'angle d'une pédagogie différenciée.
Elle permet, comme le souligne, Monsieur PERRENOUD, d'installer d'autres rapports dans la classe, entre les élèves eux-mêmes, qui se sentent plus impliqués, plus reconnus dans leurs individualités, et entre les élèves et l'enseignant, dont le rôle est modifié.
Sa mise en place requiert une préparation soigneuse sur les plans pédagogique, matériel,
organisationnel et humain. Elle nécessite de la part de l'enseignant une maîtrise parfaite des savoirs à transmettre mais aussi la faculté d'accepter de s'effacer et de changer son positionnement par rapport aux élèves.
Mais elle est l'occasion de porter un autre regard sur l'autre et d'ouvrir à la tolérance tout en donnant l'opportunité de dépasser des limites qu'une situation de classe traditionnelle ne peut intégrer. A ce titre là, il vaut la peine d'en tenter l'expérience.