Veillons en effet à n’utiliser le terme de citoyen qu’à bon escient, sauf à tout confondre et à entretenir une ambiguïté regrettable sur ce qu’est la participation. Hannah Arendt nous dit : " la politique organise d’emblée des êtres absolument différents en considérant leur égalité relative et en faisant abstraction de leur diversité relative ". La démocratie doit assurer l’expression politique du plus grand nombre, et c’est bien parce qu’aucun principe ne permet d’instituer en raison la supériorité des uns sur les autres qu’il faut accepter l’égalité de tous qui fonde la validité du suffrage universel. D’un autre côté, les pouvoirs publics ont une activité de résolution de problèmes à travers la mise en œuvre de politiques publiques qui ont des effets sélectifs parce que ce sont des actions différenciées et qu’elles ont toujours de ce fait des effets redistributifs sur les groupes sociaux. Le citoyen vote pour élire des gouvernants ; l’assujetti de son côté est, compte tenu de sa situation sociale, directement concerné au titre de ses intérêts propre à l’action du gouvernement. Si le gouvernement réclame des citoyens, l’action publique dans sa conduite a besoin de la participation des intérêts économiques et sociaux dont la reconnaissance, en France, s’est toujours avérée problématique. La France est un pays qui a longtemps freiné l’institutionnalisation des intérêts sociaux ; la faiblesse des acteurs collectifs, partis politiques, syndicats, associations, en témoigne largement. Or, une politique publique en tant qu’action finalisée est toujours liée à des publics spécifiques, et c’est bien au nom d’exigences gestionnaires que se produit le plus généralement la rencontre avec les intérêts sociaux à travers des procédures variées de consultation, participation et négociation. S’il convient d’organiser la participation des acteurs sociaux à l’énoncé et à la mise en œuvre des politiques publiques qui les concernent, il ne faut cependant pas confondre celle-ci avec le débat démocratique. Ceci passe moins par les pétitions de principe que par des solutions souvent de nature institutionnelle qui visent à distinguer clairement la démocratie administrative, fondée sur la participation et la négociation, de la démocratie politique, basée sur l’élection et le débat politique nécessitant la mise en place de réels contre-pouvoirs. Si cette dernière s’adresse à des citoyens définis par l’égalité de leur statut, en revanche, les gouvernements lorsqu’ils agissent, ne s’adressent plus à des citoyens, mais à des acteurs sociaux précisément et socialement situés, c’est-à-dire définis par leurs différences.

La participation est aujourd’hui nécessaire, car il ne peut y avoir d’action publique efficace sans la présence d’acteurs privés. L’Etat est conduit à incorporer dans sa propre action les logiques d’intérêts observables dans la société civile. De ce point de vue, " gouverner, c’est gérer de l’action collective " . Dans les années 60, l’Etat-providence s’est développé selon un logique de production et de distribution de biens publics de toute nature (hôpitaux, écoles, routes, allocations, etc.) selon des normes centralisées et standardisées. A partir des années 70, nous avons atteint les limites de cette activité de production, et la crise qui a affecté l’ensemble des pays industrialisés nous a forcés à réfléchir non seulement sur ce que nous faisions, mais aussi aux conséquences de ce que nous faisions. On est ainsi passé d’une logique de réalisations à une logique de résultats. A cet égard les politiques d’aménagement du territoire et d’environnement ont été novatrices, moins en fait par les domaines qu’elles couvraient que par la nature de la réflexion sur l’action publique qui leur est spécifique. Ce qui définit, dès le départ, les politiques de l’environnement et de l’aménagement du territoire comme des politiques innovantes, c’est justement qu’elles visent objectivement et consciemment à prendre en compte les conséquences induites par les usages du territoire. Ce sont moins les thèmes que leur signification qui en constitue la nouveauté. Ce sont les premières politiques qui reposent ouvertement sur un raisonnement conséquencialiste. Nous sommes progressivement passés d’une logique de produit à une logique de problème. Or, par nature, les problèmes de société sont la propriété de tout le monde, et ils ne sont plus simplement cernables dans des expertises techniques spécialisées. Les problèmes de banlieues en sont une bonne illustration. Que sont-ils sinon la convergence sur un même territoire de difficultés liées à la crise économique qui mènent au chômage, à l’échec scolaire, à l’exercice de l’autorité parentale, à l’attitude des forces de police et à un urbanisme mal maîtrisé ? La politique de la ville par exemple, se trouve dans une configuration qui justifie pleinement le recours à la cogestion et à la participation, car elle est une politique partenariale par nécessité. Une action publique efficace va de pair avec la coopération et la coordination des institutions publiques, ce qui déjà n’est pas chose aisée à obtenir. Mais cette coopération institutionnelle indispensable demeure insuffisante. Elle n’a de sens que si les assujettis y sont eux-mêmes impliqués. Aujourd’hui, notre société est confrontée à des problèmes qui ne peuvent être résolus indépendamment de leur engagement. Ils sont les récepteurs de l’action publique et aident à son déploiement.

Tout ceci modifie la conception même du service public. Il faut rompre avec l’idée du service public qui ne serait qu’une gestion standardisée de situations elles-mêmes standardisables. Cette conception du service public correspondait à une logique de distribution, elle est aujourd’hui inopérante. A l’heure actuelle, on ne peut gérer les situations et les problèmes publics que de manière différenciée et appropriée à la réalité des problèmes tels qu’ils s’inscrivent dans la spécificité des contextes d’action, dans la singularité des territoires. Il faut désormais substituer l’idée d’équité à celle d’égalité. L’équité vise les résultats de l’action. Le raisonnement qu’implique l’équité est relativement provocateur vis-à-vis de notre tradition républicaine car il suppose que les services de l’Etat ne peuvent plus gérer les multiples situations sociales de manières uniformes. La réalité s’impose à tous et dans tous les domaines. Sa diversité légitime une gestion différenciée et territorialisée des problèmes publics.