Le contexte politique

Dans certains contextes politiques, la participation peut apparaître comme une menace. Paulo Freire se trouve au premier rang de ceux qui ont contribué à l’approche Réflexion et Action Participative, avec sa pratique et son expérience de conscientisation en Amérique Latine. Freire[6] pensait que l’on pouvait et devait renforcer les capacités des gens pauvres et exploités à analyser leur propre réalité. Cette approche de l’éducation des adultes, quoiqu’elle paraisse plutôt prosaïque, était assez menaçante pour que les dictateurs du Brésil au pouvoir à l’époque bannissent Freire de son propre pays.[7]

« Durant la Révolution française, d’âpres débats opposaient les démocrates, nostalgiques de l’agora athénienne, et les tenants de la représentation, processus par lequel le peuple délègue sa souveraineté à des représentants. Notre démocratie représentative est le fruit d’un compromis entre ces deux conceptions, a priori opposées. Elle a, tant bien que mal, plutôt correctement fonctionné pendant deux siècles. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à reconnaître que ce modèle est en crise : d’abord, parce que, depuis la révolution individualiste, il devient très difficile de déléguer à quelqu’un d’autre ses opinions et son pouvoir de décision ; ensuite parce que, sociologiquement, l’écart ne cesse de se creuser entre la société politique (les représentants) et la société civile (les représentés).

La démocratie participative se veut une réponse à cette crise. En invitant les citoyens à participer plus directement aux décisions qui les concernent, on tente de combler un peu l’écart qui s’est creusé. L’un des exemples les plus significatifs est le budget participatif inventé au début des années 90 à Porto Alegre et reproduit depuis dans de nombreuses villes brésiliennes. Mais aussi, plus près de nous, les conseils de quartier mis en place par certaines municipalités françaises.

Nombre d’auteurs soulignent aujourd’hui qu’il ne faut pas opposer les vertus de la démocratie directe aux médiations et aux éventuels détournements de la représentation : ce n’est pas en réfutant l’une pour l’autre que l’on redonnera du sens à la politique. Plusieurs logiques sont à l’œuvre et doivent pouvoir coexister dans le registre démocratique. Dans une démocratie digne de ce nom, le pouvoir des représentants est toujours menacé d’être remis en cause par le pouvoir du peuple s’exprimant non pas par la force, mais par la parole, par la possibilité du débat public. L’intérêt de bien distinguer les deux registres que sont la logique participative et celle du débat public est entre autres de montrer que les deux peuvent co-exister et se compléter dans nos démocraties modernes. Si la plupart des analystes s’accordent en effet à penser que le suffrage universel est « une condition nécessaire mais non suffisante de la démocratie », si nombre d’autres estiment que nos démocraties sont en fait des oligarchies et que les dispositifs participatifs sont bienvenus dans ce contexte pour obliger les responsables politiques à se « mettre davantage à l’écoute et au service des citoyens », beaucoup d’auteurs et de militants considèrent désormais qu’il est urgent de faire place à d’autres modes d’agir politique, capables de revitaliser l’ensemble de la dynamique démocratique.

Le problème, c’est que, très vite, des tensions surgissent entre les élus - qui se targuent de leur légitimité - et ces instances de participation - parfois plus dynamiques mais qui "ne représentent qu’elles mêmes". Pour contourner cette difficulté, on a tendance à privilégier une troisième voie : la démocratie délibérative. Il s’agit, cette fois, de mettre l’accent sur les conditions et la qualité du débat, afin de réussir à construire de l’intérêt général. Les conférences de citoyens et autres forums hybrides en offrent un bon exemple : on associe des citoyens - généralement tirés au sort - à la mise en place de politiques économiques ou de grands choix technologiques, en les formant et en les aidant à élaborer un point de vue commun sur le sujet. Très usités dans les pays scandinaves, ces outils tardent cependant à s’imposer en France. »[8]