Des initiatives floues et descendantes

La norme participative s’institutionnalise d’autant plus qu’elle demeure floue, que son contenu reste vague, ses objectifs multiples et que le cadre juridique est particulièrement peu contraignant (Lefebvre 2007). La loi « démocratie de proximité » de 2002 ne contraint que les villes de plus de 80 000 habitants à mettre en place des conseils de quartier, et ce dans les formes qui leur semblent les plus ajustées au territoire. Les conseils de développement sont obligatoires depuis la loi Voynet d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire de 1999, mais, là encore, les structures intercommunales peuvent les organiser à leur guise. La dernière réforme territoriale de 2010, votée sous le gouvernement Fillon, a, quant à elle, complètement évacué la problématique de la citoyenneté locale (Lefebvre 2010). De fait, le design organisationnel des dispositifs est laissé à la discrétion des autorités locales. La participation est le plus souvent conçue par les élus en fonction de leurs objectifs propres et de leurs stratégies locales (Gourgues 2012). Les élus sont d’autant plus libres d’organiser l’offre participative que les mobilisations sociales et politiques en faveur de la participation sont assez limitées. Un des paradoxes de la démocratie participative est, d’ailleurs, qu’elle se développe alors qu’on peut mettre en doute l’existence d’une réelle demande sociale de participation, laquelle est le plus souvent construite par les élus pour légitimer leurs dispositifs que véritablement portée par les citoyens.

Le succès social de la démocratie participative tient dans une large mesure à l’indétermination de ses objectifs, à l’hétérogénéité et à la plasticité des univers de sens qu’elle mobilise, mais aussi au rapport ambigu que la participation entretient avec la décision. Tout se passe comme si on célébrait « l’avènement d’un droit à la participation sans qu’il soit précisé ce à quoi il est désormais permis de participer » (Blatrix 2009). Sous le label « démocratie participative » coexistent des procédures, des techniques et des démarches d’inégale importance dont l’objectif commun est d’« associer » les citoyens à la prise de décision politique. Le mot « participation » subsume ainsi des logiques diverses : communication, information, consultation, concertation, implication, co-décision, délibération, etc. La frontière entre ces diverses approches se révèle poreuse et le lien avec la décision reste souvent obscur. On peut, par exemple, faire de la simple information sous couvert de participation. Les élus cherchent, d’ailleurs, à entretenir cette confusion et ces ambiguïtés, tout en tirant les profits symboliques attachés à la « participation ».

Des objectifs multiples et souvent indirectement démocratiques

Si la norme prend, c’est qu’elle est investie de plus en plus par une philosophie, partagée par les élus, que l’on peut qualifier de managériale. Elle s’appuie fortement sur la participation des usagers et leur expertise d’usage. Dans cette optique, la démocratie participative contribue à l’amélioration de la gestion urbaine avec l’idée que « mieux gérer, c’est gérer plus près et gérer avec ». La visée est alors la plus grande efficacité des processus décisionnels et la gestion des conflits potentiels. L’échange entre habitants permet d’optimiser la rationalité des solutions proposées et des décisions prises, d’anticiper les conflits et de les désamorcer, et ainsi de rendre les projets indiscutables. Les dispositifs participatifs peuvent être un outil managérial à disposition des élus pour faire pression sur les services administratifs, pour accroître leur réactivité et « externaliser » la contrainte de modernisation et d’adaptation. Dans les contextes d’alternance, la démocratie participative permet de reprendre la main sur les services et de les remobiliser (Mazeaud 2012). Les objectifs peuvent, en second lieu, être sociaux. Il s’agit alors, à travers l’implication des habitants, d’améliorer la cohésion sociale à l’échelle d’un territoire donné, voire de maintenir « la paix sociale ». Le rôle des dispositifs est ici de retisser du « lien social », de reconstruire une confiance mutuelle entre citoyens et administrations locales.

Les entrepreneurs de la participation poursuivent enfin des objectifs politiques. Il s’agit pour les élus de conforter leur propre légitimité représentative. Le développement des dispositifs participatifs s’inscrit dans un contexte de « crise de la représentation » de plus en plus intériorisé par les élus, qui font feu de tout bois pour susciter de l’assentiment, de la loyauté et de la légitimité. La démocratie participative, par le style qu’elle imprime à l’action publique et les signes qu’elle permet d’adresser à la population, participe de cet activisme symbolique. Les rituels participatifs relèvent d’un nouvel événementiel politique et d’une mise en scène recomposée du pouvoir politique. La démocratie participative obéit à une logique de monstration de la modernité : elle permet d’afficher symboliquement le changement dans un contexte où il est très valorisé. Confrontés à une défiance croissante, les élus sont à la recherche de nouvelles formes de légitimité d’action et cherchent à expérimenter de nouvelles manières d’entrer en relation avec les citoyens ordinaires.

D’autres usages politiques de la démocratie participative peuvent être évoqués. Les mandats de conseils de quartier permettent aux partis politiques de « rétribuer » symboliquement le militantisme alors que le marché électif local apparaît peu ouvert. Inversement, les élus peuvent utiliser les procédures participatives pour contourner les partis et renouveler leurs réseaux.