La démocratie locale reste essentiellement représentative

Au total, si la démocratie participative prend localement, c’est qu’elle ne remet pas fondamentalement en cause la démocratie représentative, qui demeure une propriété essentielle du système politique local. Malgré la multiplication des « détours participatifs » (Blatrix 2009), le rôle des citoyens se limite le plus souvent à celui de départager les élites locales. La procédure électorale organise la délégation politique et la démocratie de « proximité » et les interactions dont elle est le support atténuent dans une certaine mesure l’autonomie des gouvernants en les contraignant à rendre des comptes à leurs mandants. Au niveau communal, départemental ou régional, l’exercice du pouvoir local est ainsi toujours marqué par la suprématie des exécutifs, la faiblesse du parlementarisme et de la culture délibérative et l’atonie des contre-pouvoirs favorisant la longévité élective et la constitution d’oligarchies locales (Lefebvre 2011). Un espace public organisant des discussions argumentées autour du « bien commun » local peine ainsi à se dégager, même si les médias cessent d’être le simple miroir de la « société locale » et semblent jouer un rôle critique croissant.

La démocratie locale, illisible, est devenue une démocratie de l’abstention

Mis à distance par la complexification des enjeux et la professionnalisation des acteurs politiques, les citoyens participent de moins en moins à un jeu électoral local dont ils mesurent mal les enjeux, peu lisibles et parfois occultés. La sanctuarisation de la démocratie intercommunale a suscité des travaux récents particulièrement convaincants (Desage et Guéranger 2011). Longtemps protégé de la montée de l’abstention, l’espace politique local n’y échappe désormais plus et suscite indifférence ou démobilisation. La participation aux élections municipales n’a cessé de baisser depuis 1983 (21,6 % d’abstention au premier tour contre 33,5 % en 2008) et lors des élections régionales de 2010, l’abstention a atteint un nouveau record des élections locales sous la Ve République (53,6 %).

L’exercice de la citoyenneté locale se heurte à l’illisibilité du paysage institutionnel. Malgré la décentralisation et les politiques de communication, les pouvoirs locaux et leurs compétences (le maire excepté) demeurent mal identifiés. Cette complexité, peu propice à l’imputabilité des décisions, est un des facteurs de la nationalisation des élections locales qui nuit à la mise en débat démocratique des enjeux locaux, alors que la spécialisation des arènes politiques, dominante en Europe, encourage justement leur prise en compte. Politique électorale et politique des problèmes, territoires de la décision et territoires de la représentation se déconnectent. Le pouvoir local n’échappe pas aux tendances lourdes qui caractérisent les démocraties dans leur ensemble comme la professionnalisation politique.

La démocratie participative absorbée par la représentation

Si la décentralisation a ouvert la voie à de véritables gouvernements locaux et « rapproché » les citoyens des décisions les concernant (principe de publicité et d’accessibilité des actes administratifs), elle n’a pas fondamentalement démocratisé les pouvoirs locaux, renforçant même le pouvoir des notables. Le cumul des mandats, spécificité française maintenue, contribue à une régulation oligopolistique de la compétition politique locale et à la construction de l’inamovibilité électorale (Sadran 2010). Le « technotable » s’est professionnalisé et exerce son pouvoir sur des bases nouvelles (renforcement de la communication locale, émergence d’une légitimité de projet et d’expertise, etc.). Cette professionnalisation entraîne une transformation du profil sociologique dominant des élus, le poids des cadres supérieurs diplômés devenant dominant dans la composition des élites locales (Koebel 2006). De ce point de vue, la démocratie locale est de moins en moins représentative socialement, même si la parité et la prise en compte de la « diversité » ont pu renouveler à la marge le profil des élus.

Face à la forte inertie de l’organisation et des modes de dévolution du pouvoir local, le développement de dispositifs participatifs n’introduit que des changements cosmétiques. La division du travail politique local n’est pas véritablement remise en cause et on ne peut opposer démocratie participative et démocratie représentative. On ne peut qu’être d’accord avec Cécile Blatrix quand elle écrit : « les dispositifs de démocratie participative font partie intégrante de la démocratie représentative. Il y sont assimilés, au sens propre de convertis dans sa substance même ». Le développement d’une nouvelle offre participative ne transforme donc pas en profondeur la donne politique locale, qui reste marquée par un fort tropisme représentatif.

Bibliographie

  • Blatrix,      Cécile. 2009. « La démocratie participative en représentation »,      Sociétés contemporaines, n° 74, p. 97-119.
  • Blondiaux,      Loïc. 2008. Le Nouvel esprit de la démocratie, Paris : Seuil.
  • Blondiaux,      Loïc et Fourniau, Jean-Michel. 2011. « Un bilan des recherches sur la      participation du public en démocratie : beaucoup de bruit pour      rien ? », Participations, n° 1, p. 10-36.
  • Desage,      Fabien et Guéranger, David. 2011. La Politique confisquée. Sociologie      des réformes et des institutions intercommunales,      Bellecombe-en-Bauges : Éditions du Croquant.
  • Gourgues,      Guillaume. 2012. « Quel avenir pour la participation publique      locale ? Éléments pour un bilan critique », Pouvoirs locaux,      n° 92, p. 50-58.
  • Koebel,      Michel. 2006. Le Pouvoir local ou la démocratie improbable,      Bellecombe-en-Bauges : Editions du Croquant.
  • Lefebvre,      Rémi, 2007. « Non-dits et points aveugles de la démocratie      participative », in Robbe (dir.), La Démocratie participative,      Paris : L’Harmattan, p. 110-134.
  • Lefebvre,      Rémi. 2010. « L’impensé      démocratique de la réforme territoriale », La Vie des      idées, 9 mars.
  • Lefebvre,      Rémi. 2011. « Démocratie locale », in Romain, Guignier et Cole      (dir.) Dictionnaire des politiques territoriales, Paris :      Presses de Sciences Po, p. 152-145.
  • Lefebvre,      Rémi et Revel, Martine. 2012. « Démocratie consultative :      l’institutionnalisation à tâtons dans deux communautés urbaines », in      Douillet, Faure, Halpern et Leresche (dir.), L’Action publique locale      dans tous ses états. Différenciation et standardisation, Paris :      L’Harmattan, p. 275-290.
  • Mazeaud,      Alice. 2012. « L’instrumentation participative de l’action      publique : logiques et effets. Une approche comparée des dispositifs      participatifs conduits par la région Poitou-Charentes », Participations,      n° 1, p. 53-78.
  • Nonjon,      Magali. 2005. « Professionnels de la participation : savoir      gérer son image militante », Politix, n° 70,      p. 89-112.
  • Sadran,      Pierre. 2010. « La démocratie locale : quels      enseignements ? », Cahiers français, n° 356,      p. 82-87.
  • Sintomer,      Yves et Talpin, Julien (dir.). 2011. La Démocratie participative      au-delà de la proximité. Le Poitou-Charentes et l’échelle régionale,      Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Notes

[1] Les « professionnels de la participation » (consultants, bureaux d’études, etc.) tout comme les chercheurs, souvent avocats de la participation, contribuent à ces phénomènes de diffusion et de circulation (Nonjon 2005).