De la convivialité, Dialogues sur la société conviviale à venir. Alain CAILLÉ, Marc HUMBERT, Serge LATOUCHE, Patrick VIVERET. 2011, La Revue du M.A.U.S.S. (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales)
"Tout le monde sent bien, sait bien que nos sociétés ne pourront pas continuer longtemps sur leur lancée actuelle, en ravageant toujours plus la nature, en laissant exploser les inégalités, en lâchant la bride à une finance folle qui dévaste et corrompt tout. Mais quelle alternative imaginer ? Les idéologies politiques héritées ne semblent plus être à la hauteur des défis de l'époque. C'est dans ce contexte qu'il convient d'examiner ce qui est susceptible de réunir certains des courants de pensée les plus novateurs de ces dernières années : décroissance, recherche de nouveaux indicateurs de richesse, anti-utilitarisme et paradigme du don, plaidoyer pour la sobriété volontaire, etc.
Confrontant ici leurs points de vue, en cherchant davantage ce qu'ils ont en commun que ce qui les oppose, certains des animateurs les plus connus de ces courants constatent que l'essentiel, dans le sillage de certaines analyses d'Ivan Illich, est de jeter les bases d'une société conviviale : une société où l'on où l'on puisse vivre ensemble et « s'opposer sans se massacrer » (Marcel Mauss), même avec une croissance économique faible ou nulle."
Extrait de l'introduction "Les discours à la fois élaborés et fortement cri-tiques sur différents points du fonctionnement et de la conduite de nos sociétés se font de plus en plus nombreux et alarmants. Ils parviennent parfois sur le devant de la scène médiatique mondiale – comme en atteste par exemple l’écho donné aux Rapports Stern ou Stiglitz – et semblent alors être écoutés jusque dans les plus hautes sphères politiques. Quelques idées sont même devenues des slogans planétaires, comme celle de développement durable, avancée en 1987 dans le Rapport Brundtland. Mais aucune de ces idées n’a été en définitve jugée suffisament convaincante pour que soient effectivement mises en œuvre les mesures radicales qu’elles appellent et qui permettraient d’avancer dans les directions espérées, comme en témoigne, par exemple, le récent échec du sommet de Copenhague (décembre 2009), pourtant inauguré dans une belle euphorie.
Pour faire vraiment bouger les lignes, il convient, selon toute vraisemblance, de ne pas en rester à un simple éventail de diagnostics critiques sur tel ou tel point particulier, mais de considérer que c’est l’ensemble du fonctionnement et de la conduite de nos sociétés qui est défectueux et appelle à une révision radicale. De tels diagnostics d’ensemble sont devenus rares depuis que la chute du mur de Berlin semble avoir au sens invoqué par Fukuyama – sonné la fi n de l’Histoire. Il n’y aurait plus qu’une seule manière de faire marcher et de diriger nos sociétés. C’en serait fi ni non seulement du socialisme, sous toutes ses formes, mais aussi de toutes les idéologies qui se donnent comme telles, car le marché a définitivement triomphé. Le marché ? Les gagnants du moment, si l’on peut dire ainsi, ont en effet abandonné la bannière du capitalisme pour se draper dans celle du marché, de la liberté et de la démocratie, proclamés indissociablement liés.
Les discours et les rêves anticapitalistes qui étaient les seuls à ouvrir une perspective de changement total se retrouvent quant à eux discrédités. S’ils bénéficient ces dernières années d’un certain regain d’audience, c’est en raison du sentiment qui prévaut, au sein d’une proportion croissante de la population, que la situation s’aggrave et que les remèdes annoncés successivement étant sans effet, la société est engagée dans une voie sans issue. Mais ils ne semblent pas en passe d’accéder à une véritable crédibilité politique planétaire. Si l’on veut donner corps à la résistance des mouvements de la société civile, à l’échelle mondiale, qui veulent garder l’espoir dans l’avenir en proclamant qu’« un autre monde est possible », il faut formuler l’espérance dans un autre langage que celui de l’anticapitalisme.
C’est dans cet esprit que j’ai demandé à quelques collègues français qui me semblaient être de ceux qui sont allés le plus avant dans cette voie, de venir en juillet 2010 débattre ensemble à la Maison franco-japonaise de Tokyo. Je faisais le pari, comme le rappelle la citation d’Ivan Illich en exergue, que « seul, dans sa fragilité, le verbe peut rassembler la foule des hommes pour que le déferlement de la violence se transforme en reconstruction conviviale... » Marc Humbert Commander le livre
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