Participation et Empowerment Henri Franchet

La notion même de « participation » est très polysémique et renvoie à des réalités très différentes, à une gradation dans le niveau de prise en compte des citoyens ordinaires et dans leur intégration dans le processus décisionnel. Pour cela, on peut utilement se référer à la typologie de S. Arnstein[1] qui identifiait 3 niveaux de participation. Le premier niveau, le plus cynique, correspond aux pratiques visant à « éduquer » les participants, en considérant une asymétrie structurelle dans les relations entre le politique et la société civile. Le deuxième niveau, celui de la « coopération symbolique », vise la transmission d’information ou la consultation légitimante, sans obligation pour les élus de tenir compte de ces avis. La politique de la ville en France se situe, dans le meilleur des cas, à ce niveau. Le troisième niveau, le plus intéressant en termes de capacité à influer sur le contenu des politiques publiques est, par définition, le plus difficile à atteindre tant il nécessite une remise en question des formes traditionnelles de médiation entre la société civile et les institutions publiques. Ce que l’on qualifie d’empowerment, terme intraduisible en français, participe de ce niveau. Pour aller à l’essentiel, l’empowerment constitue « le processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper »[2]. Cette notion désigne donc un renversement des rapports de domination entre l’Etat et la société civile, notamment les groupes sociaux les plus défavorisés. Elle est une des pierres angulaires des politiques urbaines, ou plus exactement de ce qu’il en reste, aux Etats-Unis.[3]

« L’empowerment[4]est un processus ou une approche qui vise à permettre aux individus, aux communautés, aux organisations d’avoir plus de pouvoir d’action et de décision, plus d’influence sur leur environnement et leur vie. Cette démarche est appliquée dans nombre de domaines – le social, la santé, l’économie, la politique, le développement, l’emploi, le logement … – et s’adresse très souvent aux victimes d’inégalités sociales, économiques, de genre, raciales … L’empowerment a sensiblement une portée sociale puisqu’il vise un changement de société. Chaque individu, chaque communauté où qu’il ou elle se situe dans l’échelle socialepossède un potentiel, des ressources et peut utiliser celles-ci pour améliorer ses conditions d’existence et tracer la route vers plus d’équité.

Entrant notamment dans le paradigme de la psychologie sociale, cet instrument de progrès social irrigue peu ou prou les pratiques d’intervention actuelles. En se focalisant sur les capacités des individus et des communautés, il permet de dépasser le rôle d’assistance dans les pratiques sociales. C’est le glissement du « faire pour » (paternaliste et stigmatisant) vers le « faire avec » ( émancipateur et valorisant ). »

La participation est au cœur des « trois typologies d’empowerment :

l’empowerment individuel qui comporte quatre composantes essentielles : la participation, la compétence, l’estime de soi et la conscience critique. Dans leur ensemble et par leur interaction, elles permettent le passage d’un état sans pouvoir d’agir à un autre où l’individu est capable d’agir en fonction de ses propres choix ;

l’empowerment communautaire qui renvoie à un état où la communauté est capable d’agir en fonction de ses propres choix et où elle favorise le développement du pouvoir d’agir de ses membres. La participation, les compétences, la communication et le capital communautaire sont les quatre plans sur lesquels il se déroule. L’empowerment individuel contribue à réaliser celui de la communauté ;

l’empowerment organisationnel

qui s’exécute sur quatre plans en interaction : la participation, les compétences, la reconnaissance et la conscience critique. L’organisation est à la fois le lieu où l’empowerment individuel se réalise et « l’engin » de l’empowerment communautaire. »[5]

Dans une perspective organisationnelle, l'empowerment réfère principalement au transfert du pouvoir de l'équipe d'intervention vers une clientèle.[6] Socialement, l'empowerment a une influence potentielle sur la formulation des politiques de santé publique et la formulation des programmes de santé.[7]

Dans la perspective politique, l'empowerment est le résultat qui permet de changer les structures actuelles et les relations de pouvoir entre les diverses instances, les intervenants et les individus. [8]

Ajouter «  la notion d'empowerment psychologique est primordiale. Elle est définie comme un sentiment de grand contrôle sur sa vie où l'expérience individuelle suit les membres actifs dans un groupe ou une organisation.Cette notion se construit sur des niveaux de développement personnel, de soutien mutuel de groupe, de participation et d'organisation. Elle peut apparaître sans la participation d'une action politique ou collective et l'unité d'analyse est l'individu.[9] L'empowerment psychologique est nécessaire mais insuffisant pour l'accomplissement de transformations et de changements de niveau social ou collectif.[10] Si la psychologie communautaire doit encourager la reconnaissance de la diversité culturelle, c'est essentiellement parce que cela est nécessaire au développement de l'empowerment. Il en est de même pour la prévention, le développement des communautés, la démocratie participative, la relation entre chercheurs et participants, les réseaux de soutien, les groupes d'entraide, etc. »


[1]Arnstein, S. R. (1969). "A Ladder of Citizen Participation", Journal of the American Institute of Planners, vol. 35, n° 4, p. 216-224.,

[2] Bacqué, M.-H. (2005). "L'intraduisible notion d'empowerment vue au fil des politiques urbaines américaines", Territoires, n° 460, p. 32-35.

[3] Bernard Jouve, note de travail, L’empowerment : à quelles conditions ? Pour quels objectifs ?, URL: http://societude.free.fr/Bibliographie/Syntheses/JOUVE%20-%20L'empowerment%20a%20quelles%20conditions.pdf

[4] Empowerment, terme anglo-saxon, n’a pas de traduction française consacrée. Certaines terminologies renvoyant plus ou moins au même sens reviennent dans la littérature francophone : « attribution de pouvoir », « obtention de pouvoir », « émergence du processus d’appropriation du pouvoir », « autonomisation », «renforcement du pouvoir d’action », « capacitation », « habilitation », « empoderamiento » …

[5] NINACS W. Types et processus d’empowerment dans les initiatives de développement économique communautaire au Québec Thèse350p.Document en ligne http://www.lacle.coop/docs/Ninacs_these.pdf Université Laval, Québec, 2002

[6] CORNWALL J.R., et PERLMAN B., (1990). Organizational entrepreneurship. Homewood. II Irwin.

[7] WALLERSTEIN N., & BERNSTEIN E., (1988). Empowerment Education : Freire's Ideas Adapted to Health Education. Health Ecucation Quarterly. Vol 15 (4)., 379-394.

[8] SHERWIN S., (1992). No Longer Patient: Feminist Ethics and health Care. Temple University Press. Philadelphia.

[9] RISSEL C., (1994). Empowerment: the holy grail of health promotion ?. Health Promotion International. 9 (1), 39-47

[10] RAPPAPORT J., (1987). Terms of empowerment/exemplars of prevention: toward a theory for community psychology. Américan Journal of Community Psychologie, 15, 121-148