Il existe au moins trois thèses concernant l’interprétation des processus d’institutionnalisation de la participation, thèses qui conviennent également pour les partenariats institutionnalisés, notamment ceux incluant les initiatives de la société civile.

  • La première thèse, qui manifeste beaucoup de scepticisme, insiste sur « les effets de légitimation des structures de pouvoir asymétrique » et « sur les collusions entre les élites et la cooptation clientéliste qui le traverse, sur les distorsions que provoquent les inégalités sociales jusque dans les démarches participatives ».
  • La seconde, qui se montre plutôt favorable, met en avant la dynamique positive de la participation « qui ferait émerger de nouveaux besoins, permettrait des transformations sociales positives et favoriserait au bout du compte un meilleur équilibre entre action publique étatique et action citoyenne. »
  • La troisième, qui se veut intermédiaire aux deux précédentes, insiste sur l’ambivalence des processus qui doivent être pris au sérieux, mais qui donneraient souvent lieu qu’à des « aménagements à la marge » parce qu’évoluant dans des « cadres étriqués de structures politiques et administratives traditionnelles »[1]

Impliquer les citoyens dans un processus de planification participative peut prendre du temps, et donc coûter cher. Les autorités publiques ont souvent le sentiment qu’on leur a donné le mandat de prendre des décisions au nom des citoyens. Selon eux, le fait de créer des possibilités pour le citoyen de s’impliquer, sape ces mandats.[2]

La participation des habitants souffre de symptômes évidents. D’une part, le cadre institutionnel est nettement perfectible : si les lois de décentralisation ont contribué à la formation d’un droit de la participation, leur apport se révèle néanmoins insuffisant. D’autre part, d’une manière générale, la démocratie participative locale apparaît pour le moins négligée par ceux qui devraient en être ses principaux artisans…. La participation des habitants doit, dès lors, trouver des palliatifs efficaces. Il convient, tout d’abord, de repenser ses enjeux et ses objectifs : il faut un véritable enjeu au débat et un dispositif crédible qui permette de contribuer à la définition du projet et à la discussion de sa pertinence ; il est également nécessaire que les objectifs de la participation soient mieux définis, celle-ci devant avoir pour but de révéler et de régler les conflits susceptibles d’émerger à l’occasion dudit projet. Ensuite, les modalités de la participation doivent être redéfinies : à ce titre, il convient d’envisager la mise en place de formules alternatives de participation, dépassant le cadre institutionnel existant car s’appuyant sur des logiques différentes (ex : groupes de « théâtre forum » ou les groupes de « qualification mutuelle »), mais aussi de sortir de la vision capacitaire de la citoyenneté et être attentif aux attachements (à des lieux, des espaces et/ou des groupes) comme ressources de citoyenneté.[3]

Cette forme de gestion est appelée « démocratie participative », distincte de la « démocratie représentative » de par le fait qu'on élargit les bases de discussion dans la prise de décisions, au travers d'une consultation à la société organisée en conseils et/ou entités de représentation populaire. Mais la dite « démocratie participative » a aussi ses limites, car, si d'une part les personnes ne sont pas toujours disposées à participer, cela implique par ailleurs, l'existence d'un état qui, en plus de reconnaître le droit de ses citoyens, partage avec eux le pouvoir d'établir des critères pour l'établissement de politiques publiques.[4]

« Dans les projets participatifs, l'appropriation des innovations par les groupes les plus vulnérables constitue le maillon le plus faible de ces nouvelles stratégies car le plus propice aux manipulations et aux malentendus.

Les situations de projets participatifs orientés sur les groupes les plus vulnérables cumulent a priori les sources d'incertitude quant à leurs effets réels :

même dans un projet participatif, les innovations proposées ne touchent pas forcément l'ensemble de la population-cible mais des groupes locaux qui sont en mesure de s'approprier le projet sur la base des dynamiques sociales préexistantes;

le caractère durable d'un projet ciblé sur les populations les plus pauvres et les plus vulnérables est encore moins garanti que dans le cas de projets classiques visant les producteurs "progressistes";

enfin, une forte participation des acteurs locaux aux différentes phases des projets peut être contradictoire avec la prise en compte privilégiée de la situation des groupes les plus vulnérables car elle peut renforcer les dynamiques sociales dominantes et préexistantes ou créer de nouvelles inégalités. Dans ce cas, l'approche participative peut induire directement ou indirectement une exclusion forte des groupes d'acteurs les plus vulnérables des projets conçus pour eux et renforcer à terme leur sentiment d'échec et leur découragement…

En ce sens, tout projet, qu'il soit ou non participatif, déclenche une participation cachéedes populations, différente de celle qui est autoritairement assignée (dans le cas des projets non-participatifs) ou suscitée (dans celui des projets participatifs) par le projet. Parce que les projets participatifs ambitionnent, d'une part, de dépasser les schémas simplistes de l'approche classique et, d'autre part, de déplacer l'équilibre des rapports de force inégalitaires, la prise en compte de la "participation cachée" est particulièrement importante. Cette prise en compte est indispensable pour clarifier le concept de Participation. »[5]

Les innovations proposées ou soutenues par les stratégies participatives orientées sur les groupes vulnérables sont soumises concrètement à une série de filtres imposée par l'économie politique de la pauvreté et de l'exclusion. Ce filtrage social et politique provient des structures clientélistes au niveau national et régional. Il conditionne la durabilité institutionnelle des projets tout autant que les critères technico-économiques ou que le caractère local et décentralisé des projets.

« Les partis jouent moins qu’autrefois leur rôle de médiation entre le système politique et la société civile, un gouffre s’est ouvert que l’institutionnalisation de la participation semble pouvoir combler en partie. Enfin, la conscience se fait jour que la politique n’est pas forcément un jeu à somme nulle, où les élus devraient par force perdre du pouvoir s’ils étaient amenés à le partager : si la politique dans son ensemble regagnait en crédibilité, tout le monde n’aurait-il pas à y gagner ?...

Bien sûr, la démocratie participative n’est pas une recette miracle et les expériences engagées sont confrontées à une série de défis :

  • Comment assurer une participation quantitativement significative et socialement représentative de l’ensemble des citoyens ?
  • Comment surmonter les problèmes d’échelle et faire du local ou du sectoriel un tremplin plutôt qu’un piège, en évitant les corporatismes et l’esprit de clocher ?
  • Comment intégrer les savoirs citoyens à la modernisation de l’Etat, afin que les services publics soient réellement au service du public ?
  • Comment permettre une délibération de qualité ?
  • Comment la démocratie participative peut-elle déboucher sur plus de justice sociale ?

Ces questions difficiles ont débouché sur un foisonnement d’innovations pratiques et conceptuelles, dans un mouvement qui ne fait que commencer à s’engager.

La politique est en train de basculer d’un terrain vers un autre, marqué par la relativisation du rôle des appareils partidaires. La démocratie participative ne constitue qu’un pôle dans cette évolution. D’autres tendances jouent sur des crispations autoritaires et sur des mécanismes charismatiques. Elles se manifestent dans le règne des sondages et d’une politique spectacle où l’argumentation est réduite à sa plus simple expression.

La démocratie participative ne constitue-t-elle pas un contrepoids à cette « démocratie d’opinion » :

  • lorsqu’elle s’incarne dans des procédures qui favorisent une délibération de qualité,
  • lorsqu’elle combine différents types de légitimité plutôt que de les opposer
  • lorsqu’elle permet au processus de décision politique d’incorporer les énergies venues des mouvements sociaux en préservant leur autonomie.

Elle doit certes affronter de sérieux défis et génère des problèmes nouveaux, mais l’enjeu n’en vaut-il pas la chandelle ? Des budgets participatifs aux jurys citoyens, n’est-il pas urgent de multiplier les expérimentations ? [6]

 


[1] Bacqué Marie-Hélène et Yves Sintomer (dir.), Amélie Flamand et Héloïse Nez (coll). La démocratie participative inachevée : genèse, adaptations et diffusions, Paris/Gap : Adels/Yves Michel  2010

[2] Fred Fisher. Ameliorer les relations entre citoyens et autorités locales par la planification participative.

[3] La participations des habitants Synthèse novembre 2013 http://eclips.hypotheses.org/282

[4] Gestion Publique, Participation Citoyenne et Pouvoir Politique. Silvana Maria Pintaudi Universidade Estadual Paulista – UNESP Campus de Rio Claro, SP, Brasil, 2011

[5] FAO http://www.fao.org/docrep/V9860F/v9860f01.htm#TopOfPage

[6] Sintomer Yves, M.H. Bacqué et H. Rey, Gestion de proximité et démocratie participative La Découverte, Paris, 2005