Développer une régulation interactive articulée aux objectifs-obstacles

On le sait maintenant, il est inutile d’espérer optimiser le “ traitement pédagogique ” d’un élève en accumulant à son propos toutes les informations disponibles, sur son profil psychologique, son QI, sa façon d’apprendre, son style cognitif, ses acquis, etc. Sans doute n’est-il jamais inutile de connaître ses élèves, mais il faut se déprendre du fantasme de pouvoir décider d’avance, sans coup férir, de ce qui leur convient. Une pédagogie différenciée évite de proposer des tâches absurdes, parce que trop faciles ou trop difficiles, mais elle investit, une fois la situation lancée, dans une régulation constante de la tâche collective et de la part qu’y prend chacun. Autrement dit, en jouant sur l’étayage et le désétayage, l’aide méthodologique, la division du travail, la structuration du problème en sous-problèmes à traiter séparément, le professeur fait évoluer la tâche, l’ajuste et fait des choix décisifs :

  • d’un côté, les obstacles cognitifs (théoriques ou méthodologiques) qu’il décide de lever, parce qu’ils sont dans l’immédiat insurmontables pour les élèves ou que leur dépassement n’est pas prioritaire ; dans ce cas, l’enseignant renonce à l’apprentissage correspondant et aide lucidement les élèves à contourner l’obstacle, par exemple en prenant lui-même en charge certaines opérations qui ne sont pas encore à leur portée ;
  • de l’autre, les obstacles qui ne doivent pas être évités, parce qu’ils sont au cœur du projet de formation ; du coup, ils deviennent des objectifs-obstacles (Astolfi, 1997, 1998 ; Martinand, 1986, 1989), des occasions de construire des savoirs nouveaux ou d’élargir ses compétences ; le rôle de l’enseignant n’est pas alors de faire à la place ou de faciliter, mais de forcer la confrontation à l’obstacle en l’aménageant de façon optimale.
  • Tout cela est extrêmement difficile à réaliser en classe et exige des compétences didactiques pointues, aussi bien que de fortes capacités d’observation, d’animation, de régulation et de gestion. Ces compétences ne se développeront que si la réforme curriculaire s’accompagne d’un vaste programme de formation des enseignants.

Maîtriser les relations intersubjectives et de la distance culturelle

L’approche par compétences suppose une démarche très souvent coopérative, qui place l’enseignant, sinon à égalité avec ses élèves, du moins en position d’acteur solidaire de l’entreprise commune : produire un texte, mener à bien une expérience, conduire une enquête, etc.

Du coup, le rapport pédagogique s’en trouve changé, les personnes se dévoilent dans le travail, ce qui est, ici encore, à doublée tranchant :

-  jusqu’à un certain point, cela permet d’échapper au face à face maître-élève, au jeu du chat et de la souris, aux mécanismes de contrôle et de défense, à la défiance et à la ruse, de part et d’autre ;

-  en même temps, le travail est le théâtre de rapports de pouvoir, de conflits et d’exclusion.

Une “ éducation fonctionnelle ”, centrée sur de vraies situations appelant des savoirs opératoires, modifie les règles du jeu scolaire, au risque de marginaliser certains élèves, plus à l’aise dans des activités scolaires traditionnelles, fermées, individuelles.

Individualiser les parcours de formation et travailler en cycles

Au primaire et au secondaire obligatoire, il est fréquent que l’approche par compétences soit associée à l’introduction de cycles d’apprentissage pluriannuels. Ce n’est pas une coïncidence : plus on vise à former des compétences, plus il faut espacer les échéances, prendre le temps de construire les apprentissages par des démarches de recherche et de projet peu compatibles avec le compte à rebours classique d’une année scolaire.

On peut se demander pourquoi, dans l’enseignement post obligatoire, en particulier l’enseignement supérieur, on reste attaché à des années de programme alors même que les conditions pour travailler en cycles pluriannuels et en unités capitalisables sont plus faciles à réaliser, notamment en raison de l’autonomie des apprenants et de leurs capacités d’orientation et d’autorégulation.

Travailler en cycle n’éradique pas magiquement les inégalités et l’échec scolaire. Des cycles mal conçus et mal gérés peuvent même creuser les écarts. Mais à terme, l’approche par compétences commande des espaces-temps de formation plus larges, plus propices à l’individualisation des parcours de formation.